Guerre d’Algérie ou LCP entre mémoire et histoire! « Le Schirch… »

Guerre d’Algérie ou LCP entre mémoire et histoire !

« Instituteur pendant la guerre d’Algérie » (la Croix du 23/12/2013) ou « Le Schirch, celui qui sait… ou l’aventure hors du commun de Guy Beaujard,(Le Monde Télévisions des 22,23/12/2013) un documentaire sur LCP, le 23 décembre 2013.

               Dans son analyse critique, Alain Constant, dans Le Monde, conclut « ce documentaire inédit est une belle leçon d’histoire », après avoir décrit l’itinéraire du héros de ce documentaire, un jeune instructeur civil venu en Algérie, pendant la guerre d’Algérie, en 1959.

        Si j’ai bien compris le commentaire, le poste militaire d’affectation de ce jeune instructeur, était à Tifrit n-Aït Ou Malek, en Grande Kabylie.

          Le même documentaire nous conte la rencontre pour le moins surprenante entre le jeune instructeur et le colonel Si Mohamed Ou el Hadj, à l’époque chef de la Willaya III.

            Belle leçon d’histoire, ou plutôt belle leçon de désinformation historique, comme je l’ai fait connaitre à la chaîne LCP par le message que je lui ai adressé le 24 décembre 2013, dont le contenu est le suivant :

        « Bonjour, ce documentaire est à ranger dans la catégorie des documents de désinformation historique pour quelques-unes des raisons ci-après :
     

      1) Un curriculum étrange ? M.Beaujard était sursitaire ? Avait refusé de porter les armes et se retrouvait dans le poste de Tifrit ? A effectué son service une fois la guerre terminée ? Etait menacé de mort par le FLN alors qu’il avait collaboré avec le parti en question ?

     2) Comment ne pas être choqué par l’absence de cadrage historique de ce documentaire, et pourquoi ne pas avoir eu le courage de donner la parole à des soldats, sous-officiers ou officiers du contingent qui ont servi dans le même secteur militaire ?

     3) Le documentaire a fait l’impasse sur l’opération Jumelles, mais l’instit en question n’aurait pas pu exercer ses fonctions si cette opération n’avait pas eu lieu, en ramenant la paix civile en Kabylie, où il était, et en Petite Kabylie où je servais la France en tant qu’officier SAS, précisément sur le versant Soummam du même massif.

     4) Comment ne pas éprouver un malaise et beaucoup de mécontentement en regardant ce type de documentaire qui a été tourné à la gloire de Si Mohand, chef de la Willaya III, et tout autant de l’instit, lorsqu’on a cru servir son pays, tout en étant convaincu que l’Algérie devait aller à l’indépendance ?

         Il s’agit à proprement parler à la fois de propagande et de falsification historique. Je puis vous dire que dans ma SAS, le FLN avait brûlé de très belles écoles construites en dur, bien avant la guerre de 54, que j’ai reconstruites, et que de bons instituteurs, sans doute en nombre très insuffisant dans la vallée de la Soummam y exerçaient depuis longtemps leur mission du savoir. Il y aurait tellement de choses à dire sur ce type de sujet qu’il est effectivement possible de raconter aujourd’hui n’importe quoi, et c’est bien le cas de ce documentaire que la chaine publique LCP accueille sans vergogne et sans cadrage historique. La France est décidément dans un triste état. Salutation distinguées. »

            La chaine Publique LCP est-elle dans son rôle d’information libre et pluraliste en diffusant un documentaire soi-disant historique sur la guerre d’Algérie propre à éloigner tout espoir de réconciliation entre les deux peuples  conditionnée par un exercice exigeant de vérité, dans les deux camps ?

            Pendant la guerre d’Algérie, nombreux ont été les « petits gars du contingent » qui ont rempli leur devoir de citoyen français, et aimé cette Algérie qui n’était pas leur pays, ainsi que ses habitants !

Jean Pierre Renaud

Guerre d’Algérie – Soummam 1960 – Lettre numéro 2, ou « Le sourire hygiénique du pacificateur »

Guerre d’Algérie

Soummam

Lettre numéro 2

Une lettre dont le titre pourrait être :

« Le  sourire hygiénique du pacificateur »

            Nous avons publié la première lettre sur le blog du  26 août 2011,  en expliquant aux lecteurs le contexte historique de ces lettres publiées dans un bulletin intitulé

« Bulletin de liaison Saint Maixent 1959

Promotion Communauté »

Bulletin numéro 11                            Mars 1960

JP Renaud

SP 86623

            « Je rentre de permission, je rapporte un grand sommeil de France, « France éternelle » qui esquive dans les jeux de fin d’année, par un réflexe de santé naturel les problèmes d’une France subversive.

Je réponds tout d’abord à notre ami Voisin. Pas très satisfait sur certain comportement A.A., j’ai saisi l’occasion qu’un Télégramme Officiel providentiel m’a offerte, je me suis porté « très volontaire » pour être remis à la disposition de mon arme d’origine. Mon colonel m’a convoqué, nous avons bavardé, satisfaction dans le principe, délai diplomatique dans l’exécution. Me voici donc toujours dans les A.A., à Ait Chemini, cette fois, après avoir essayé de créer une antenne SAS, vous savez ces petites punaises multicolores qui font chic sur les cartes murales d’Etat- Major. A part cela, toujours dans le cadre de la SAS de Vieux Marché, cadre formel puisque nous n’entretenons ; mon capitaine et moi, que des relations épisodiques et télégraphiques. Rien de fracassant assurément, une tactique qui ressortirait plus de la catégorie n°2 chère à V…, V…esprit classeur.

Ceci dit, depuis quatre mois, chef d’une antenne sans pouvoir, sans mission, sans moyens et sans attribution, j’ai pu suivre tout à loisir les développements de l’opération « Jumelles ». La Cie a fait un bond en avant, mais chinois, elle a construit un nouveau poste, très bien placé qui couvre maintenant la zone habitée. Je suis venu en septembre pour essayer d’étayer l’action militaire  pure par une action plus « civile », reconstruction d’une mairie, de deux classes, création d’un petit terrain de football ; visite de villages avec le sourire hygiénique du pacificateur, plus ou moins conseiller du Commandant de Cie. C’était une expérience passionnante, on avait l’impression de gagner du terrain, de retourner la population, le fameux « dégel » des journalistes s’annonçait.

Après un creux cet hiver, les progrès continuent : 70% de l’OPA est détruite, le fellouze ou le terroriste sont durs à trouver. Pas mal de prisonniers, quelques ralliés, situation difficile chez les petits gars d’en face. L’autodéfense a démarré dans les villages proches des postes, la Cie commence à se diluer à l’intérieur de la population.

Le problème politique reste entier, il n’y a pas de 5ème Arme de guerre révolutionnaire ailleurs que dans les bouquins, la chose a été légalisée récemment d’ailleurs. Nous faisons une guerre à l’américaine avec un armée qui n’est pas révolutionnaire, un peu dans le contingent, et peu dans la carrière, ou si peu ! Alors ? Melting des « petits gars du contingent » et des braves kabyles ? Chose faite, bonne chose, mais est-ce autre chose qu’un des articles de la pacification, est-ce que cela touche au mythe ?

Réponse à C…: je pense aussi qu’il faut mettre le paquet aujourd’hui, SAS éphémères !

Conclusion sur une antenne SAS : n’a de valeur que si elle se calque sur une compagnie et si elle en a les moyens. Dans le cas contraire, centre de repos avancé pour officier des A.A. anémié cherchant le fel par dilettantisme.

Avec mes bonnes amitiés. »

Deux commentaires sommaires :

A propos de V…, un camarade de promotion : dans une de ses lettres, il avait classé les types de relation avec le commandement et marqué sa préférence pour la méthode de la tergiversation à celle de la rupture. Etrangement, il avait récupéré l‘attaché des A.A. que j’avais viré pour corruption.

« Le sourire hygiénique du pacificateur » : dans un des numéros du journal de la FNACA , « L’Ancien d’Algérie », le journaliste avait compris « le seau hygiénique du pacificateur », et c’est le texte qui a été publié.

Le mal était fait, d’autant plus que la rectification de l’erreur dans un des journaux suivants se réfugiait dans un petit coin illisible de ce journal.

En tout cas, la formule utilisée se suffisait déjà à elle-même.

Guerre d’Algérie – Soummam 1959-1960- Lettres d’un Sous-Lieutenant Officier de SAS

Guerre d’Algérie

Soummam 1959-1960

Lettres d’un Sous-Lieutenant, Officier de SAS

Présentation

                        Les deux lettres qui vont être publiées successivement l’ont déjà été dans une publication plutôt confidentielle, intitulée « Bulletin de liaison Saint Maixent 1959 – Promotion Communauté ».

            En octobre 1958, une cinquantaine d’anciens élèves des grandes écoles (en très grande majorité de Normale Supérieure et de la France d’Outre-Mer) entrent à l’Ecole Militaire de Saint Maixent.

            Une quarantaine de ces sous-lieutenants rejoint l’Algérie en avril 1959, la moitié dans des unités combattantes, l’autre moitié dans les SAS, les Sections Administratives Spécialisées.

L’auteur faisait partie de cette promotion.

            La promotion décida d’éditer un bulletin de promotion intitulé « Promotion Communauté » destiné à échanger informations, expériences et réflexions sur la guerre d’Algérie.

            D’avril 1959 à octobre 1960, seize bulletins ont été publiés, relatant les expériences de ces jeunes officiers, affectés sur tout le territoire de l’Algérie. (1)

            Ces témoignages, « tout chauds » d’actualité, étaient authentiques, lucides, et sans beaucoup d’illusions sur cette guerre d’Algérie, et sur la mécanique diabolique de toute guerre. 

            L’auteur lui-même des deux lettres publiées sur le blog avait été affecté en Petite Kabylie, à la SAS de Vieux Marché, dans la vallée de la Soummam, arrondissement de Sidi Aïch, département de Sétif, à cette époque.

            La SAS en question vivotait dans une zone qualifiée de « pourrie », alors encore contrôlée par l’OPA du FLN et les katibas rebelles, dans la willaya 3 ; ces derniers pouvaient se réfugier facilement dans la forêt d’Akfadou, et conserver des liaisons faciles avec les katibas de Grande Kabylie.

            Petit rappel historique pour les non-initiés :

                        A l’époque des faits, l’Armée exerçait tous les pouvoirs, c’est-à-dire les généraux et tous les officiers chargés d’un commandement en Algérie.

            Dans les départements, les Préfets étaient les adjoints civils des généraux. Dans les arrondissements, les colonels, commandants de secteurs militaires, avaient pour adjoints les sous-préfets.

            Les secteurs étaient découpés en quartiers tenus par des bataillons, eux-mêmes découpés en sous-quartiers tenus par des compagnies.

            Pour remédier à la sous-administration de l’Algérie et pour reprendre en mains la population, le gouvernement avait créé dans la plupart des arrondissements, des Sections Administratives Spécialisées, les fameuses SAS. Leurs limites ne recouvraient pas toujours celles des sous-quartiers, et c’était le cas de la SAS de Vieux Marché.

            L’ancienne commune mixte de la Soummam, qui englobait le douar des Béni Oughlis, territoire de la SAS, était immense, puisque pendant la pacification, pas moins de quatorze SAS avaient été créées sur cette ancienne circonscription.

Les Officiers des Affaires Algériennes, Chefs de SAS, avaient une position ambigüe, puisqu’ils relevaient tout à la fois de l’autorité militaire et de l’autorité civile. Leur nature était hybride et leur recrutement très hétéroclite.

Lors d’une réunion du 29/05/1959, le Délégué Général du Gouvernement en Algérie avait dit des officiers SAS : « ils sont naturellement hermaphrodites. »

Il y avait autant de cas de figure de SAS que de situations militaires concrètes, et que de relations professionnelles et personnelles entre officiers de Sous-Quartiers et officiers de SAS.

Une SAS, en tant que telle, avait de la peine à exister dans une zone non pacifiée, totalement contrôlée par l’armée, et c’était le cas de la SAS de Vieux Marché.

La doctrine militaire de la pacification

La pacification dans le douar des Beni Oughlis mettait en œuvre la doctrine de « La guerre moderne », le livre du colonel Trinquier

Avec d’autres colonels qui ont voulu tirer les enseignements des échecs de la France en Indochine, le colonel Trinquier a été un des théoriciens de  la guerre révolutionnaire ou contre-révolutionnaire en Algérie.

Au cœur de cette doctrine figurait l’adhésion, sinon le contrôle de la population. Mao Tsé Tung était passé par là.

Les SAS constituaient donc une des pièces importantes du dispositif stratégique.

Mais les fondements de cette analyse stratégique, la situation en Algérie, son histoire, les caractéristiques du théâtre d’opérations, la nature de nos adversaires, de leur combat…  l’ensemble des facteurs stratégiques de l’Algérie d’alors, n’était pas du tout le même que celui d’Indochine, alors, sorte d’avant-garde du communisme international de la Chine et de l’URSS, et la solution du problème ne pouvait donc pas être la même.

Au cours du stage d’application de Saint Maixent, les élèves avaient eu l’occasion d’écouter une des conférences d’un intellectuel à la mode dans l’armée, résolument anti- communiste, un dénommé Sauge, et le contenu de la pensée de ce conférencier avait fait bien rigoler la majorité des élèves.

Quelques dates pour situer le texte :

            1/11/1954 : début de l’insurrection algérienne

            1957 : bataille d’Alger

            4/06/1958 : de Gaulle  à Alger : « Je vous ai compris »

            23/10/1958 : de Gaulle propose la paix des braves

            27/31/08/1959 : tournée des popotes, de Gaulle déclare :

             «  Moi vivant, jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l’Algérie »

            24/01/1960 – 1/02/1960 : semaine des barricades à Alger

            13/02/1960 : explosion de la première bombe atomique au Sahara.

            3/05/1960 2ème tournée des popotes de de Gaulle en Algérie : de Gaulle évoque l’idée d’une Algérie Algérienne liée à la FRANCE

            Bulletin Numéro 3

            De JP Renaud                   juin 1959

SAS de Vieux Marché

SP 86 623

            « La SAS où j’ai été parachuté n’a rien de commun avec la SAS capitonnée, amoureusement préparée dans certains couloirs du Palais par quelque Procureur ; elle ne ressemble pas non plus aux SAS en mal de réformateurs agraires grandis à l’ombre de quelque Parti. Oh ! Camarades, qu’est devenue la vertu ?

Je ferai donc part de mes impressions aux gens sérieux.

SAS accrochée dans le « djebel », surplombant la vallée de la Soummam, entre Sidi Aïch et Akbou. SAS recouvrant à peu près un Sous Quartier « réservé » aux Chasseurs Alpins de la Première Compagnie.

Aucune élite présente, aucune délégation spéciale, ni a fortiori aucune municipalité. Tous les gens bien sont en France, dans les villes d’Algérie, dans le djebel, ou bien, tout simplement morts, et ils sont nombreux.

Il n’y a pas d’opinion politique ou, plus justement, la politique menée dans le Sous Quartier ne tient pas à la voir s’exprimer ; pourquoi avoir des municipalités FLN puisqu’on lutte contre lui les armes à la main ? Attendons que, par un traitement approprié de la population, celle-ci soit mûre et nous donne la preuve de sa capacité française.

 La population de la SAS se trouve pratiquement dans un noman’s land, disputé par les deux partis. Moutonnière, apathique, ennemie souvent, mais ce qui est  plus grave, considérée comme telle par nous. Au point de vue militaire, des progrès ont été réalisés ; les rebelles et les terroristes se promènent constamment dans le Sous Quartier, mais il est rare qu’une katiba soit réunie pour opérer. Les gens sont las de la guerre, sans doute, mais je ne pense pas qu’une politique ait jamais été fondée sur la lassitude des gens. Le Kabyle, ou plutôt, la « Kabyle » rentre dans sa coquille et laisse passer l’orage. La troupe n’a aucune prise sur la population, sauf par force. La théorie en faveur, et c’est un bien grand mot, est qu’il faut mater la population, l’épurer. C’est ainsi que le stage en taule est considéré comme favorable à l’éducation et à la moralisation des « pensionnaires »

On distingue les villages qui se conduisent bien et ceux qui se conduisent mal. Ceux-là ont le droit de venir travailler aux aménagements du poste pendant un certain nombre de journées. Ces deux cas ne sont qu’une illustration d’une méthode plus ou moins consciente qui pense que la verge ou la contrainte peuvent reconquérir la population. L’idéal serait que le Kabyle prenne un coup de règle sur les doigts chaque fois qu’il agit mal envers nous. C’est un moyen comme un autre de lui montrer qu’il ne peut se passer de nous. Il n’y a plus d’échanges, le ravitaillement des populations est interdit ou accordé au compte-gouttes. C’est la misère ou le marché noir, le retour à des procédés archaïques pour fabriquer sucre, cafés, aliments. L’asphyxie économique est encore un moyen d’éducation politique et de lutte contre le ravitaillement des bandes rebelles, puisque après le poste, c’est la zone ouverte aux incursions des rebelles.

Pourtant, il y a de l’argent, les femmes perçoivent des allocations familiales, des mandats provenant de leurs maris émigrés en France, des pensions… beaucoup d’argent, mais pas d’échanges. Le minimum vital est encore amoindri par la présence de réfugiés, un tiers de la population a été évacué pour organiser une sorte de cordon sanitaire entre le rebelle et nous.

Dans ce climat politique, militaire, économique, la SAS n’a pas un rayonnement exceptionnel. Elle était enfermée, tout récemment encore, dans ses murs ; une antenne administrative dans des bâtiments provisoires à l’ombre de la Compagnie. Un Maghzen peu nombreux, de valeur inégale, qui tient plus d’un hospice pour gens en danger d’égorgement que d’une troupe combattante, tout est à faire pour son instruction. Une SAS kyste dans la circonscription, que les gens ne viennent fréquenter que par intérêt.

Trois sortes de travaux : le travail administratif, encore prédominant ; militaire (instruction du Maghzen), politique, des tournées de contact assez illusoires dans le cadre des sorties militaires, un chantier de piste rurale.

Ceci dit, le pays est très beau, très touristique, et l’habitat est intéressant.

Tant que les moyens nécessaires ne seront pas donnés pour couvrir la région de troupes, il est illusoire d’escompter le ralliement de la population. »

(1)  L’historien Antoine Prost faisait partie de cette promotion. Le bulletin a publié deux de ses lettres, dans le numéro 11, celle du 10 février 1960, et dans le numéro 12, une autre, à la date du 15 avril 1960.

Sauf erreur de ma part, les « Carnets d’Algérie » qu’il a publiés, n’ont fait état ni du bulletin, ni de ces deux lettres.

La Tragédie des Harkis: France 3 – la blessure

La tragédie des harkis : « La blessure » – France 3 du 20 septembre 2010

 Ma première remarque porterait sur le titre choisi, un titre un peu faible, compte tenu des meurtres et des tortures dont ont été victimes beaucoup de harkis et de moghaznis, et du meurtre moral et patriotique que la France a commis à leur égard

            Ceci dit, un documentaire intéressant, et j’espère utile, sur les souffrances et le calvaire des harkis qui avaient choisi la France, de leurs familles, et aujourd’hui, de leurs enfants et petits enfants qui ont beaucoup de peine à comprendre leur histoire, et la lâcheté de notre pays, comme l’ont d’ailleurs souligné certains des témoins.

            Je regrette toutefois que le canevas de l’émission ait été l’histoire de la guerre d’Algérie et les harkis, plutôt que les harkis et la guerre d’Algérie, notamment dans une dimension trop souvent méconnue, celle d’une guerre civile parallèle.

            Quelques remarques encore :

            Le commentaire situe la compétence des harkas dans le champ de la sécurité des SAS (Sections Administratives Spécialisées), alors qu’elles étaient rattachées à l’autorité militaire, et que les officiers SAS disposaient de maghzens, de moghaznis, chargés d’assurer police et sécurité des SAS : ne s’agit-il pas d’une erreur ?

            En ajoutant que beaucoup de moghaznis ont été assassinés et torturés après l’indépendance.

            Par ailleurs la version donnée sur le sort réservé par la France à ses supplétifs ne correspond pas à celle que je connais, et d’après laquelle les autorités avaient pour instruction de laisser en Algérie le maximum de supplétifs : qui dit vrai ?

            A mon retour d’Algérie, et en ce qui me concerne, j’avais effectué auprès d’un camarade d’études, à l’Elysée, une démarche pour faire connaître la honte que nous éprouvions, avec beaucoup de mes camarades, quant à l’attitude de notre pays à l’égard de ses harkis et moghaznis.

            Alors oui, trois fois oui, la France a une dette morale à leur égard, un droit à réparation morale, et sur ce dernier point, j’ai été un peu étonné de l’intervention d’un historien connu et partisan de la repentance.

 J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié le langage utilisé, avec le massacre de Melouza, successivement, le nouvel « exclusivisme » du FLN, puis le mot de «  terreur », ce qui était effectivement le cas. 

Enfin, le débat qui a suivi l’émission était on ne peut plus décevant.

Jean Pierre Renaud

Les Sections Administratives Spécialisées: lecture du livre de M.Mathias

Les sections administratives spécialisées en Algérie

par Grégor Mathias

Les SAS, comme on les appelait plus communément, et selon moi, 

« Les « éphémères » administratives »

            Un livre intéressant, utile, très riche en informations, qui n’a pas peur de citer ses sources, et elles sont nombreuses.

            Un lecteur curieux pourra y découvrir l’univers des SAS, un univers à la fois très diversifié, et très changeant dans le temps en oubliant jamais que les SAS ont eu un temps de vie très court, une vie de « libellule ».

            Les questions de ce livre ?

            Une histoire des parties prenantes ?

            Celle-ci me concerne personnellement, étant donné qu’il me parait difficile, sinon impossible, de détacher analyse et jugement sur la guerre d’Algérie, et sur les SAS, lorsqu’on a été acteur de cette guerre et des SAS.

            Je suis en effet, par prudence et principe, tout à fait réservé sur l’histoire de la guerre d’Algérie racontée par des personnes qui ont été parties prenantes, actives ou passives, de cette guerre ! L’historien Goubert a d’ailleurs dit des choses intéressantes à ce sujet, et tout à fait censées.

            La représentativité historique des analyses (espace et temps)

            Le problème redoutable de la représentativité des recherches et des analyses, quant il s’agit de l’histoire du terrain, et non de celle, des organisations, des opérations militaires identifiables, du déroulement général et macro-politique et militaire, terrain souvent favori des recherches.

            En Algérie, chaque guerre fut différente, selon la situation géographique, la chronologie, le titulaire du commandement militaire, au niveau des sous-quartiers, quartiers, secteurs, et SAS.

            La mémoire orale

            Au risque d’offenser certains anciens d’Algérie, je suis assez sceptique sur la mémoire orale des anciens combattants. A en écouter beaucoup, ils ont tous connu  accrochages ou embuscades, alors que la proportion de soldats, de gradés, de sous-officiers, et d’officiers affectés dans les services de commandement et dans les villes était loin d’être négligeable. Et les conditions généreuses d’attribution de la carte d’ancien combattant ne constituent sans doute pas le bon critère du recueil fiable de mémoire orale.

            Les sources écrites

            Je fais en revanche plus confiance aux traces écrites de l’époque, c’est à dire essentiellement aux lettres.

            Egale réserve sur les archives : je ne sais pas ce que l’on trouve dans les archives des SAS, mais je ne suis pas sûr qu’elles reflètent la réalité. Quant aux Journaux de Marches et Opérations, les JMO, pour les avoir exploités en ce qui concerne le sous-quartier de ma SAS,  la plus grande prudence est à recommander.

            Il est donc nécessaire de déterminer au préalable ce qu’il est possible d’extraire honnêtement de ces archives.

            Ceci dit, et pour revenir au sujet proprement dit, rien à dire sur les chapitres qui retracent l’historique des SAS et leurs missions,  des chapitres qui exposent la diversité et la complexité de toutes ces missions, étant observé que dans le concret de beaucoup de SAS, c’était souvent « mission impossible ».

            Le chapitre 4 « L’état d’esprit des officiers SAS ». est intéressant, mais il soulève évidemment la question déjà évoquée de la représentativité des sources, en particulier en ce qui concerne les officiers qui ont fait l’objet d’interviews.

            La typologie des SAS     

            Une typologie des SAS parait donc s’imposer, pour autant qu’il soit possible de la faire, car les difficultés apparaîtront quand il s’agira d’évaluer leur fonctionnement et leur utilité chronologique, et donc tenter d’aller sur le terrain des résultats.

            Il conviendrait donc de classer année par année chacune des SAS dans une typologie à définir, situation géographique, situation militaire, de tenter d’évaluer leur fonctionnement et leur efficacité sur leur période de vie, c’est-à-dire 6 ans au maximum, selon les zones militaires, et souvent 3ans.

            Rien à voir entre les côtes francisées et les côtes sauvages, entre la côte et l’hinterland, entre l’est et l’ouest, entre 1956, 1958, et 1960, selon les zones.

            Chez moi, jusqu’à l’été 1959, au moins une katiba était quasiment chez elle, alors qu’après l’opération Jumelles,  j’arpentais les pentes de ma SAS avec un seul garde du corps, un « fel » rallié, un homme qui était d’ailleurs remarquable,  etc…

            Tâche combien difficile, peut-être impossible, d’élaboration d’un cadre historique aussi représentatif que possible !

            J’avouerai que j’ai découvert dans ce livre des attributions dont je n’ai jamais vu la couleur, et je pense que beaucoup de mes camarades, placés dans une situation militaire identique à la mienne, partageraient ce sentiment : combien de SAS  « paumées »  comme la mienne ? Plus qu’on ne croit peut-être. Durée de vie réelle de ma SAS, moins de trois années !

            En découvrant la description de la SAS modèle de l’Alma, je me suis dit une fois de plus, que toute généralisation historique pouvait, a priori, être sujette à caution.

            Et enfin, un aspect important du bilan des SAS à signaler, à mes yeux, le seul point positif, la mise en place de nouvelles institutions communales dans le bled algérien.

            Ceci dit, lisez ce livre qui constitue un excellent point de départ pour avoir, je l’espère, et ensuite, une vision encore plus historique du monde des SAS. Bon courage donc !

            Jean Pierre Renaud