Humeur Tique: la Serbie dans l’Union européenne? La transparence démocratique?

Humeur Tique : adhésion de la Serbie à l’Union européenne ?

Le Monde du 27 octobre page 9

Transparence et effets institutionnels et financiers du processus ?

            Trois journalistes du journal apportent leur contribution à la rédaction de l’article.

            Ils nous expliquent :

 « la Serbie a accompli un pas en avant crucial sur la longue route vers l’Union européenne (UE), lundi… La Serbie espère une adhésion en 2015 ou 2016. »

            Est-ce que ce serait trop demander à un grand journal d’information de nous expliquer comment cette adhésion va être « entérinée » par les citoyens d’Europe, et comment notre belle Europe va fonctionner concrètement avec cette nouvelle adhésion, en plus d’autres déjà annoncées ?

            A trois belles plumes, il ne devrait pas être trop difficile d’éclairer notre lanterne citoyenne !

Incidence institutionnelle (un commissaire de plus ?, un service linguistique supplémentaire ?), et financière du processus d’adhésion ?

            Je n’ai pas souvenir que le Monde ait jamais, jusqu’à présent, abordé ce sujet, chaque fois qu’il nous annonce une nouvelle adhésion à venir, alors que le bon fonctionnement de la démocratie européenne le recommanderait vivement.

Le film « Un homme qui crie » de Mahamat-Salah-Haroun

Un bon film, à voir par tous ceux qui s’intéressent à l’histoire et au destin de l’Afrique d’aujourd’hui.

            L’histoire d’un père, maître-nageur dans un hôtel de luxe de N’Djamena (Tchad) et de son fils, pris dans les mailles du filet de la guerre, de la corruption qui touche la conscription militaire, et qui voit son fils partir vers le front.

            Et ce merveilleux side-car qui nous fait découvrir les rues de la capitale, puis le désert, avec la course folle de l’urgence vitale, lorsque le père décide de se rendre sur le front pour rapatrier son fils gravement blessé, lequel meurt dans ses bras, le long du fleuve Chari sans doute.

            Une course de side-car digne de l’anthologie du cinéma !

            Un film qui ressemble au versant africain du film de Claire Denis et d’Isabelle Huppert, intitulé « White Metal » et qui se passait au Cameroun, que nous avons brièvement commenté, il y a quelques mois.

Le versant africain, car le défaut de ce type de film est qu’on ne nous explique  jamais de quelle guerre il s’agit, qui est contre qui, et pourquoi ? La guerre comme nouveau décor africain ! Avec des guerres toujours anonymes, qui ne veulent pas dire leur nom ?

Avec le risque de laisser penser aux spectateurs que chaque pays d’Afrique se voit confronté avec sa ou ses guerres, ce qui est le cas du Tchad.

J’ai vu ce beau film un dimanche après-midi dans un cinéma d’art et d’essai, et vous avouerai-je que j’ai été très surpris de constater que le public ne semblait compter aucune personne venue, semble-t-il, de ce qu’on a coutume d’appeler aujourd’hui la diversité française.

Jean Pierre Renaud

Afrique (s), une autre histoire du XXème siècle- Acte III: 1965-1989, le règne des partis uniques

« Afrique (s), une autre histoire du XXème siècle

Acte III : 1965-1989, le règne des partis uniques »

France 5 du 24 octobre 2010

            Une rétrospective et un balayage historiques de bonne qualité sur cette période cruciale de l’Afrique qui vit effectivement la prise de pouvoir par des partis uniques et des dictateurs. Mais quid du Maghreb ?

            Avec toutes les horreurs de toutes les guerres, et pourquoi ne pas le dire, à l’exemple de beaucoup d’autres pays du monde, de tous les continents, y compris d’Europe, pour ne citer que l’exemple le plus récent du Kosovo !

            Comme je l’ai déjà noté dans une chronique précédente, et comme cela a été répété par différents interlocuteurs, il est impossible d’examiner cette période africaine, en oubliant la guerre froide entre l’Est et l’Ouest.

            Au cœur de ce dossier, la capacité ou l’incapacité des nouveaux Etats, issus d’un découpage territorial colonial, souvent artificiel, à assurer la continuité de l’Etat colonial: pouvait-il en être autrement ?

Et si oui, pourquoi le documentaire n’a pas abordé le sujet ? Ou peut-être n’ai-je pas été assez attentif ? Ou peut-être s’agissait-il d’un sujet tabou ? Celui des ethnies naturelles ou suscitées par le pouvoir colonial, des (fausses) fractures ethniques et des (vraies) fractures coloniales ?

            Une seule mention à ce sujet, le reportage  du Monde intitulé « De l’autre côté du fleuve » (page 3, le 27 octobre 2010), et le texte intitulé « L’unité nationale à l’épreuve des tensions ethniques », je précise entre maures, peuls, wolofs,soninké, et plus précisément entre populations qui étaient, à l’origine, soit nomades, soit sédentaires.

Tous les historiens de bonne foi pourront témoigner de l’existence très ancienne de ce problème et de ces tensions, comparables à toutes celles qui ont traditionnellement opposé les nomades du désert ou du Sahel (plus à l’Est, souvent des Touaregs) et les paysans sédentaires

            Le parti unique a incontestablement constitué une réponse institutionnelle à la situation née des indépendances, et à ce type de situation, et en cas de carence vraie ou fausse, l’armée, seul corps institutionnel capable d’assurer l’ordre public.

            En ce qui concerne le Sénégal, je ne crois pas avoir entendu évoquer non plus la rébellion de Casamance.

            Les extraits de discours de plusieurs « chefs » des Etats d’alors, qui ont été diffusés étaient très intéressants, car ils en disaient long sur leur talent oratoire de leaders politiques ou militaires, qu’ils aient été de vrais ou de faux révolutionnaires !

Heureusement, le documentaire s’est achevé sur une note optimiste, avec l’intervention d’une femme, responsable politique du Kenya, laquelle témoignait de son action en faveur d’un passage à la démocratie, action qui fut couronnée de succès.

Dernière question : est-ce que l’Afrique de cette époque troublée a compté des territoires qui ont échappé à la solution du parti unique ?

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: la danse de Saint Guy des candidats premiers ministrables, Président du Conseil Constitutionnel et ancien « braqueur »

Humeur Tique : la danse de Saint Guy des candidats premiers ministrables et de leurs écuries, le Président du Conseil Constitutionnel en compagnie d’un ancien « braqueur »

Humeur Tique : danse de Saint Guy des candidats premiers ministrables et bonne « com »

Font sans doute partie des citoyens classés dans la catégorie des imbéciles, ceux qui sont très surpris, pour ne pas dire plus, par la danse de Saint Guy des nombreux candidats aux fonctions de Premier Ministre et de leurs écuries !

            Alors oui, il est possible aujourd’hui d’être candidat ou de faire mousser sa candidature par une bonne âme, et en tout cas une bonne « com » ? Le conseiller social sortant du Président donne donc sa bénédiction, toute apostolique, et par avance, à son candidat ? Tout comme le Secrétaire général de l’Elysée ! Et tellement d’autres !

            Serait-ce en définitive la bonne « com » qui ferait de nos jours nos premiers ministres ? La République « com »?

Humeur Tique : Président du Conseil Constitutionnel et ancien « braqueur »

        Si vous avez l’habitude de « zapper » un peu sur les informations télévisées du soir, vous avez peut-être vu au Grand Journal de Canal Plus du 25 octobre, le Président du Conseil Constitutionnel assis en compagnie d’un homme qualifié d’ »ancien braqueur ».

Un peu surpris non ? Est-ce bien le rôle du président d’une des plus hautes institutions françaises de prendre part à un journal télévisé dans cet équipage ? Vous avez dit :

–  Mélange des genres ?

– Décidément, vous n’avez pas l’esprit large !

Ceux qui n’ont pas la mémoire courte se rappellent que le même homme politique, ministre de l’Intérieur, avait prêté son concours à l’organisation d’une conférence de presse clandestine du FLNC.

Humeur Tique: la Justice et la République des « petits pois »

Humeur Tique : des juges « petits pois » à l’engrais ?

Justice et République : les « petits pois » à l’engrais !

Les juges  « petits pois » (d’après l’aimable appellation de petits légumes du Président) sont grassement rémunérés en contrepartie des astreintes professionnelles que la République leur impose  le samedi ou le dimanche..

Les magistrats (e) reçoivent la modeste somme de 46 euros par journée d’astreinte (samedi ou dimanche), pour des journées d’au minimum 10 heures de travail.

Donc de l’ordre d’un peu plus de 4 euros de l’heure de travail !

A quand la délocalisation de nos magistrats dans la République Populaire de Chine ?

Ou celle de beaucoup de conseillers de nos princes qui n’ont pas toujours les mêmes exigences de service public !

Propagande coloniale, vous avez dit propagande coloniale? Le Petit Journal et son supplément illustré de 1906

Un coup de périscope historique sur la propagande coloniale en 1906

Le Petit Journal Militaire, Maritime, et Colonial

Supplément illustré du Petit Journal paraissant toutes les semaines – 3ème année

Abonnement (un an, 6 francs, soit 21 euros#) ou vente au numéro (10 centimes, soit 36 c d’euro #)

            Un groupe de chercheurs, bien introduit dans les médias, diffuse un discours d’après lequel la propagande coloniale aurait inondé la France, « matraqué » le cerveau des Français, entre 1871 et 1962.

Quoi de mieux que d’analyser un des outils de la propagande coloniale supposée, celle du supplément d’un journal, le Petit Journal, dont le tirage frisait alors avec le million de numéros ? 

 A cette époque, la presse provinciale faisait d’ailleurs jeu égal avec la presse parisienne.

Le titre du supplément est assez clair sur son contenu, trois thèmes, le militaire, le maritime et le colonial.

Chaque supplément  hebdomadaire comprenait 15 pages, dont une de publicité, et une ou deux consacrées aux mouvements de personnel militaire ou maritime parus au Journal Officiel, donc une douzaine de pages utiles à d’autres informations.

Les suppléments étaient abondamment illustrés de croquis, de photos et de cartes.

            En ce qui concerne l’année 1906, les thèmes d’information dominants portent sur l’actualité des armées française et étrangères, avec un accent sur l’armée allemande, les nouveaux armements, les marines et leurs navires, les plans de défense français, et accessoirement sur les colonies.

Les 52 numéros du supplément ont consacré de l’ordre de 13% de leurs colonnes aux colonies, avec quelques numéros exceptionnels, notamment le numéro 110, celui concernant la Conférence d’Algésiras au Maroc.

Les informations coloniales traitées sont très variées : officiers tués, agitation en AOF, en Mauritanie, ou à Madagascar, folie de l’Empereur d’Annam, assistance médicale en AOF, Exposition coloniale de Marseille et musique malgache, Tchad et portage, budget général de l’AOF, mission de Brazza au Congo, avec aussi des informations sur les colonies étrangères, notamment une histoire de corruption étrange dans les colonies allemandes.

Une citation intéressante sur la relation entre exposition coloniale de Marseille et convictions coloniales du personnel gouvernemental, à l’occasion de la visite à Marseille et de son exposition, ville coloniale par excellence, du Président de la République :

« Une réception d’autant plus enthousiaste… qu’elle marque la fin d’une sorte de défaveur dont leur magnifique Exposition coloniale a semblé être l’objet jusqu’à présent de la part du personnel gouvernemental. » (numéro 146)

A la lecture des suppléments, il parait difficile de dire que le Petit Journal bourrait le crâne de ses lecteurs. Il ne leur cachait pas la vérité sur l’actualité coloniale, aussi bien les troubles, les réalisations, que les problèmes rencontrés.

Citons à cet égard les informations sur les abus du système de « portage » au Tchad, ou l’enquête de Brazza sur les exactions coloniales au Congo.

Le contenu lui-même des articles était d’une grande neutralité sur les différents sujets. Rien de triomphant ou de dithyrambique en faveur de la cause coloniale !

Nous aurons l’occasion de revenir sur certains des sujets abordés dans le courant de l’année.

Jean Pierre Renaud

Humeur Tique: Le blocus de la démocratie lycéenne? Le président Colombani entre Monde et monde

Humeur Tique : Grève des lycéens pour la retraite à 60 ans : une démocratie lycéenne ?

 « Une France qui se lève tôt »

Libé du 20 octobre (page 6)

La journaliste nous raconte ce qui se passe au lycée Hélène Boucher, dans le vingtième arrondissement de Paris :

« Les lycéens sont mobilisés depuis une semaine…Hier, c’était la troisième journée de blocus de leur établissement, voté à la majorité. »

Vous avez bien lu, un blocus voté à la majorité.

La journaliste continue à raconter : «  Des élèves installent des boites en carton. Un vote « à bulletins secrets » pour savoir si le blocus sera reconduit le lendemain… C’est important que ce soit très démocratique, qu’on ne puisse pas nous reprocher d’imposer le blocus ».*

A 10 h 30, le vote est dépouillé. Sur 478 votants (pour 1 318 lycéens), 78% se sont prononcés en faveur de la reconduite du blocus. Cris de joie »

Si je comprends bien, le blocus d’un lycée est un acte démocratique ?

Un vote organisé dans un climat de grande violence est également un acte démocratique ? Alors qu’un tiers seulement des élèves est présent ?

« Lycées, raffineries, c’est la même galère »

Victor Colombani 16 ans, Président de l’Union Nationale Lycéenne (UNL)

Libé du 20 octobre (page 4)

La journaliste écrit : « Le patron de l’UNL est bien placé pour comprendre l’importance des médias. Son père, aujourd’hui retraité – « lui au moins est passé à travers la réforme »  a fait carrière au Monde, sa mère y travaille toujours et son frère est journaliste à France 3. »

Formons le vœu qu’un Colombani ne mette pas le monde par terre comme un autre Colombani l’a fait pour le journal !

Humeur Tique: Retraites et Parti Socialiste – Est-il un parti de gouvernement? Non

Humeur Tique : Retraites et Parti Socialiste – Le Parti socialiste est-il un parti de gouvernement : la réponse est non !

            Qui, aujourd’hui,  aurait l’audace d’affirmer que le Parti Socialiste est un parti de gouvernement ?

            Le dossier des retraites est ouvert depuis des années et des années, et cette année, depuis de longs mois : est-ce que le Parti Socialiste avait dans ses tiroirs son projet de réforme des retraites, alors que tout le monde sait qu’il n’était pas possible de maintenir ce dossier en l’état ? Non !

            Etant donné qu’il n’a pas déposé son propre projet (mesures et financement) à l’Assemblée Nationale en le faisant connaître aux Français ! Au lieu de cela, une position ambigüe, flottante, qui, au fur et à mesure des journées de grève et des mois, ne sert aucunement le bien commun du pays.

            Même constat sur la sécurité des Français, sur l’école, et plus généralement sur le projet socialiste proposé aux Français dans 18 mois, en 2012 !

            A croire que le Parti Socialiste a passé plus de temps à organiser des arbitrages entre ambitions personnelles, qu’à définir son programme politique !

Un processus de choix de son candidat à l’élection présidentielle très étrange,  de la part d’un grand parti politique qui confierait à un corps électoral national flottant, également, la responsabilité de ce choix.

            Mais alors un grand parti politique n’assumerait plus la responsabilité du choix du candidat chargé de défendre son programme devant les électeurs ?

Occident contre Orient? Une thèse démontrée d’Edward W.Said?

Occident contre Orient ? Un discours vrai d’Edward W.Said?

« L’Orientalisme »

L’Orient créé par l’Occident

Edward W. Said

Notes de lecture – rapide éclairage

            Un livre bien  écrit, austère sûrement, quelquefois hermétique, brillant aussi, compte tenu de la culture encyclopédique de l’auteur sur le sujet, professeur de littérature. Mais dont le cheminement intellectuel à travers le livre n’est pas toujours facile à suivre, c’est le moins que l’on puisse dire.

            Mon ambition était de comprendre pourquoi, de nombreux chercheurs, historiens ou sociologues, classaient le livre en question comme un livre « fondateur », terme à la mode utilisé volontiers par des chercheurs  qui se veulent à la pointe du progrès de la recherche historique.

            L’auteur brasse un ensemble considérable d’informations de toute nature, de sources intellectuelles et littéraires, recueillies sur plusieurs siècles, relatives à la connaissance que l’Occident a eu, ou a encore, de l’Orient.

            La thèse qu’il entend démontrer est que l’orientalisme, en tant que mouvement de pensée, est une construction pure et simple de l’Occident, très largement artificielle, du monde de l’Orient réel, laquelle a constitué l’outil idéologique de la domination de l’Occident sur l’Orient

            Il s’agit donc d’un acte d’accusation, à la fois intellectuel et politique, porté à l’encontre des orientalistes européens, puis américains, hommes de science ou de littérature, puis politiques, et colonialistes, étant donné la projection coloniale qu’elle aurait encouragée et facilitée au cours des 19ème et 20ème siècles.

            Une représentation construite à partir d’un « textuel » artificiel, « ethnocentrique » dirions-nous de nos jours, car le mot est récent : les Occidentaux auraient été dans l’incapacité de se mettre à la place de l’Autre, oriental, dans le cas d’espèce.

            L’ouvrage soulève beaucoup de questions, notamment celle préalable du domaine dans lequel la démonstration entend se situer, histoire des idées, histoire réelle, factuelle, ou histoire d’un imaginaire, de type « textuel » ?

            Et s’il ne s’agissait, après tout, que de réflexions personnelles d’un professeur de littérature ?

            Avant d’articuler des commentaires qui n’ont pas l’ambition d’être exhaustifs, mais de proposer un rapide éclairage sur une œuvre qui comprend tout de même près de 400 pages, rappelons le cheminement « textuel » de la réflexion de l’auteur :

–       Première partie : Le domaine de l’orientalisme : 1) connaître l’Oriental, 2) la géographie imaginaire et ses représentations : orientaliser l’Oriental, 3) projets, 4) crise.

–       Deuxième partie : L’orientalisme structuré et restructuré : 1) redessiner les frontières, redéfinir les problèmes, séculariser la religion, 2) A.I.Silvestre de Sacy, Ernest Renan, Karl Marx : l’anthropologie rationnelle, le laboratoire de philologie et leurs répercussions, 3) Pèlerins et pèlerinages, anglais et français.

–       Troisième partie : L’orientalisme aujourd’hui : 1) Orientalisme latent et orientalisme manifeste, 2) le style, la compétence, la vision de l’expert : l’orientalisme dans-le-monde, 3) L’orientalisme franco-anglais moderne en plein épanouissement, 4) la phase récente.

–       Postface

Très vastes sujets donc, mais avec toutefois une réflexion centrée sur les 19ème et 20ème siècles, grande ambition aussi, étant donné que l’auteur tente de balayer et d’analyser les multiples facettes de l’orientalisme supposé, et d’après lui construit par l’Occident, lequel serait toujours vivant.

A la page 351, M.Said défend sa thèse : «  Mon projet était de décrire un certain système d’idées, il n’était pas du tout de le remplacer par un autre. En outre, j’ai essayé de soulever un ensemble de questions qui se posent  à bon droit quand on parle de l’expérience humaine : comment représente-t-on d’autres cultures ? Qu’est-ce qu’une autre culture ?… »

            Après avoir lu et annoté l’ouvrage, la première question qu’il est possible de se poser est celle de savoir si l’auteur n’a pas commis le même péché intellectuel que les nombreux témoins qu’il cite à la barre de l’orientalisme, c’est-à-dire une forme d’ethnocentrisme ? Nous y reviendrons plus loin.

            Car, est-il chose plus difficile que de se mettre à la place d’un « Autre » ?

            Au titre de la « connaissance de l’Orient », l’auteur fait un sort à deux personnages anglais, les lords Balfour et Cromer, qui ont imprimé leur marque au cours de l’expansion de l’Empire britannique à la fin du 19ème siècle, mais étaient-ils représentatifs de l’orientalisme européen de la fin du 19ème siècle ? Lequel ? Intellectuel ? Universitaire ? Politique ? Elitiste ou populaire ?

On peut se poser la question, au même titre qu’on pourrait se la poser à la même époque, pour Jules Ferry, Gallieni, ou Lyautey.

            Et d’appeler en renfort l’expédition de Bonaparte en Egypte, en 1798, et son cortège de connaissances sur l’Egypte ancienne, une référence qui parait plus convaincante de l’orientalisme, mais égyptien, dans le cas d’espèce, « modèle d’appropriation vraiment scientifique d’une culture par une autre apparemment plus forte. En effet, l’occupation de l’Egypte a mis en train entre l’Est et l’Ouest des processus qui dominent encore aujourd’hui nos perspectives culturelles et politiques. » (p,58)

            Est-ce donc si sûr ?

            « L’idée de l’Orient dans son ensemble oscille donc, dans l’esprit de l’Occident, entre le mépris pour ce qui est familier et les frissons de délice – ou de peur – pour la nouveauté. Pour l’Islam, il était cependant dans l’ordre que l’Europe le redoutât, si elle ne le respectait pas toujours » (p,76)

            C’est à partir de la lecture et de l’analyse des écrits des savants ou hommes de lettres, essentiellement des 19ème et 20ème siècles, une analyse « textuelle », « canonique » aussi, selon ses termes, que l’auteur forge la thèse intellectuelle qu’il défend : une thèse intellectuelle, sûrement, historique et scientifique, voire !

            Il écrit : « Considérons maintenant, à la lumière de tout ceci, Bonaparte et Ferdinand de Lesseps leur information sur l’Orient venait de livres écrits dans la tradition de l’orientalisme, placés dans la bibliothèque des « idées reçues » ; l’Orient, pour eux, était quelque chose à rencontrer et à traiter, dans une certaine mesure, parce que les textes rendaient cet Orient possible c’était un Orient muet, à la disposition de l’Europe pour qu’elle y réalise des projets impliquant les indigènes, sans être directement responsables vis-à-vis d’eux, un Orient incapable de résister aux projets, aux images, ou aux simples descriptions inventées pour lui. » (p,113)

            Première observation : l’auteur a-t-il vérifié que Bonaparte et de Lesseps ont effectivement fréquenté les bons orientalistes de leur époque ?

            Deuxième observation, et j’ai envie de dire : mais à qui la faute ?

Est-ce qu’on peut reprocher aux savants, et notamment aux linguistes (de Sacy est souvent cité), qui les premiers, au 19ème siècle, sont partis en chasse de connaissances sur l’Orient, sur ses langues et ses civilisations ?

            « Si l’on voulait faire la généalogie intellectuelle officielle de l’orientalisme, elle comprendrait Gobineau, Renan, Humblot, Steinhal, Burnouf, Remusat, Palmer,Weil, Dozy, Muir, pour ne citer presque au hasard que quelques- uns des noms célèbres. Il faudrait aussi y faire entrer le pouvoir de diffusion de sociétés savantes… cette littérature est particulièrement riche et contribue de manière significative à la construction du discours orientaliste. Elle comprend des œuvres de Goethe, Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Kinglake, Nerval, Flaubert, Lane, Burton, Walter Scott, Byron, Vigny, Disraeli, George Eliot, Gautier. »  (p,119)

            La liste est donc longue de noms encore connus, ou parfaitement inconnus. Il appartient aux spécialistes de se prononcer sur les caractéristiques de leur orientalisme, mais la véritable question posée, à supposer que leur orientalisme ait été celui dénoncé par Said, est celle de l’influence réelle qu’ils ont pu avoir sur la manière de pensée de l’élite de l’époque considérée, et sur l’opinion publique en général.  

            Généalogie ? Le mot est-il bien choisi ?

            Influence « orientaliste » de Chateaubriand ou de Flaubert sur l’opinion publique de l’époque, ou tout simplement de la dose d’exotisme que contiennent certaines de leurs œuvres ?

            Quelle évaluation est-il possible d’en faire aujourd’hui ? Très difficile, sauf à décortiquer toute une œuvre, et pas seulement une ou quelques-unes d’entre elles, à en extraire le discours dominant, s’il l’a été, sur l’orientalisme. Et à ajouter une évaluation des effets de l’œuvre sur la pensée et l’opinion publique de l’époque.

            L’exercice intellectuel et scientifique auquel se livre l’auteur est singulièrement difficile, étant donné la difficulté qu’il rencontre à analyser l’orientalisme à chacune des époques, et dans toutes ses facettes.

            A titre d’exemple, et pour mieux comprendre son analyse, revenons sur le chapitre 4, qu’il dénomme « crise » (pages 112 à 131).

            A la fin de ce chapitre, l’auteur écrit : « La crise actuelle met en scène, de manière dramatique, la disparité entre les textes et la réalité » (p,130)

            La crise à laquelle il fait allusion est celle qui aurait été provoquée au 20ème siècle par le révolte des peuples de l’Orient contre l’Occident, les orientalistes, et donc l’Occident, découvrant alors l’écart qui existait entre leur construction des « idées reçues » et la réalité « l’Orient réel et terre à terre » (p,120)

            Après la première guerre mondiale, « Le domaine de l’orientalisme coïncidait exactement avec celui de l’empire » (p,124), colonial, faut-il le préciser.

            L’auteur n’épargne pas les orientalistes modernes :

« Ces attitudes des orientalistes d’aujourd’hui inondent la presse et l’esprit public. On imagine les Arabes, par exemple, comme montés sur des chameaux, terroristes, comme des débauchés au nez crochu et vénaux dont la richesse imméritée est un affront pour la vraie civilisation. « (p,129)

            Un texte un peu trop caricatural, vous ne trouvez pas ?

            Qui montrerait le bout de l’oreille de cette démonstration ? Car derrière le « texte », l’auteur défend une vision « essentialiste » de l’orientaliste qui aurait existé dans les siècles et les siècles, et existerait encore, préjugé intellectuel qu’il reproche précisément aux scientifiques de l’Occident de continuer à avoir à l’égard de l’oriental.

            Et derrière encore le fil rouge, ou plutôt vert, de l’Islam qui éclairerait les postions « canoniques », c’est le cas de le dire, de l’orientalisme de l’Occident.

            La deuxième partie, intitulée « L’orientalisme structuré et restructuré » est destinée sans doute à apporter la démonstration de cette thèse, étant donné la place qui est accordée à l’examen du rôle d’une série d’hommes de sciences qui ont proposé, sinon imposé, leur image de l’Orient, de Sacy, Renan, et Marx, et de pèlerins qui ont fréquenté l’Orient au 19ème siècle.

Ces derniers, les pèlerins, auraient naturellement rapporté une image complètement artificielle de l’Orient, « un simulacre de l’Orient » (Lane- p,192)

            « Chateaubriand cherche à consommer l’Orient » (p,201)

            En ce qui concerne le rôle et l’importance du philologue de Sacy dans la naissance d’un mouvement de curiosité et de connaissance de l’Orient, mais dans le milieu de l’université, soit ! Mais le rôle des autres grands témoins cités parait plus discutable !

Est-ce que Nerval ou Flaubert ont contribué véritablement à former un mouvement orientaliste, on peut légitimement se poser la question ? Même si l’auteur relève ;

« L’importance exceptionnelle de Nerval et de Flaubert, pour une étude de l’esprit orientaliste du dix-neuvième siècle comme la nôtre, vient de ce qu’ils ont produit une œuvre qui est fonction de la forme d’orientalisme dont nous avons parlé jusqu’ici, sans en faire partie. » (p,208)

 Précisons pour le lecteur que M.Said fait référence à cette image « textuelle », « canonique » qu’il reproche aux orientalistes, image fausse et dépréciative de l’Orient réel.

Marx est appelé aussi à la barre, et son propos sonnera étrangement aux oreilles des bons marxistes : » L’Angleterre a une double  mission à remplir en Inde : l’une destructrice, l’autre régénératrice – l’annihilation de la vieille société asiatique et la pose des fondations matérielles de la société occidentale » (p,179)

            Marx, parangon de l’orientalisme de l’Occident ?

Troisième partie, « L’orientalisme aujourd’hui », sans doute et à mon avis, la partie la plus discutable.

            Dès la première page, l’auteur marque un territoire ambigu, le Proche-Orient, l’islam, les  Arabes, plus loin l’Europe ou l’Occident et l’Orient, l’Est et l’Ouest, c’est-à-dire ? Alors que l’auteur a concentré son analyse sur la relation quasi-exclusive Grande Bretagne – France et Moyen Orient aux 19ème et 20ème siècles ?

            « Il est donc exact que tout Européen, dans ce qu’il pouvait dire sur l’Orient, était, pour cette raison, raciste, impérialiste, et presque totalement ethnocentriste » (p,234)

« Ce que je prétends, c’est que l’orientalisme est fondamentalement une doctrine politique imposée à l’Orient parce que celui-ci était plus faible que l’Occident, qui supprimait la différence de l’Orient en la fondant dans sa faiblesse ; » (p,234)

.Doctrine politique seulement, voire ! Car les relations historiques entre l’Europe et le Moyen Orient, juif, chrétien, musulman, ont couvert bien autre chose !

Lecture politique de l’auteur sûrement !

            L’auteur relève plus loin l’inégalité de la connaissance entre le nombre important  de scientifiques ou pèlerins européens qui se sont intéressés à l’Orient, et des œuvres publiées et celui des scientifiques ou pèlerins orientaux.

            A qui la faute ?

            M.Said rappelle à juste titre que : «  Durant son apogée politique et militaire, qui va du huitième au seizième siècle, l’islam a dominé et l’est et l’ouest. » (p,235)

Il ne semble donc pas anormal que cette domination ait laissé certaines traces, mais pas uniquement négatives.

            Le tableau que l’auteur fait de la « ferveur expansionniste de la France » (p,249 et 250) et du rôle que le Journal Officiel aurait joué dans ce contexte laisse un peu rêveur.

Il est toujours difficile de juger un système de pensée qui aurait existé à une certaine époque, ici, l’orientalisme supposé, sans procéder à un examen minutieux d’une époque déterminée, de ses productions scientifiques et littéraires, de leur effet supposé ou réel sur les élites et l’opinion publique, et le livre de M.Said ne convainc pas vraiment à cet égard.

Que les scientifiques « orientalistes » aient influencé élites et gouvernements à l’époque de leurs œuvres, sans doute, l’opinion publique en aval, la chose est moins sûre !

L’œuvre de M.Said soulève beaucoup de questions :

–       Tout d’abord,  quant au grand flou qui règne sur le champ géographique choisi pour proposer sa démonstration : le Moyen Orient ou l’Orient de l’Inde et de l’Asie ? A la lecture, c’est bien le Moyen Orient qui est la cible.

–       Quant au regard sur « l’Autre » ? C’est effectivement un problème difficile à résoudre dans la plupart des disciplines humaines, mais comme le note l’auteur, personne, ou quasiment, n’a proposé « en face », semble-t-il,  son regard sur l’Occident, sauf à la période moderne. La relation Occident Orient manquait donc de la saine dialectique qui fait progresser la connaissance.

–       Quant aux lignes de force historiques qui ont structuré les relations entre Occident et Orient, l’existence au Moyen Orient d’un foyer très ancien de civilisations, mais surtout des grandes religions, et en parallèle, le va-et-vient des conquêtes au cours des âges, et tout autant la curiosité de l’Occident à l’égard des grandes civilisations orientales disparues, celles du Tigre ou de l’Euphrate, ou celle des pharaons d’Egypte, pour ne citer que celles du Moyen Orient..

–       Quant au rôle de « pont » humain, culturel, et économique du Moyen Orient entre Occident et Asie, avec la précoce prédominance des Anglais et leur volonté de contrôle de ces territoires, leur route des Indes, et la révolution du canal de Suez..

–       Et à partir du début du 20ème siècle, quant à l’existence du pétrole qui a nourri toutes les ambitions et les rivalités occidentales, les relations entre l’Orient et l’Occident basculant dans le domaine économique et stratégique.

–       Et aussi, pourquoi ne pas dire que les témoignages des pèlerins n’étaient pas toujours partiaux et négatifs ?

Dans les années 1830, Joseph Méry, en séjour à Rome, décrivait les Italiens, dans les mêmes termes que Pierre Loti décrivait les Hindous (en 1899-1900), les Bédouins du désert du Sinaï (1894), les Egyptiens (1907), avec à la fois l’émerveillement du témoin des civilisations anciennes rencontrées et le réalisme en face de la misère également rencontrée. Leur regard n’était pas obligatoirement partial.

            La lecture de ce livre est utile, car il s’agit d’un témoignage sur les réactions qu’éprouvait, à tort ou à raison, un grand intellectuel d’origine orientale sur le regard « textuel », « canonique », et aussi « réel » en ce qui concerne les relations entre Occident et Orient, mais s’agit-il de littérature ou d’histoire ?

L’auteur lui-même écrivait : »L’Orientalisme est un livre partisan et non une machine théorique. » (p,367) – Dont acte !

                   Jean Pierre Renaud

A quoi sert encore le politique ?

    S’il a jamais servi !

            A voir la Belgique privée de gouvernement depuis plus de six mois, vivre comme si de rien n’était !

            A voir le politique français vivre aujourd’hui, quasiment, ,comme s’il n’y avait, ni Europe, ni monde ! .

 Il y a effectivement de quoi se demander à quoi sert encore le politique, et s’il a jamais servi à quelque chose ?

Certains analystes n’ont-ils pas raison en constatant que, de toute façon, le politique ne sert pas à grand-chose, sinon à entériner, à mettre en scène, à amortir le choc du changement, plus ou moins rapide et brutal, provoqué par les changements techniques et économiques, une sorte de psy.

Illustration actuelle : informatique, internet, ou téléphone mobile continuent à exploser, et les pouvoirs publics courent toujours après l’évènement.

Est-ce qu’un député français s’est déjà posé la question de savoir de quelle liberté de décision il pouvait disposer par rapport aux institutions européennes ? Quel est le pourcentage de sa compétence juridique dans nos affaires nationales ? 30%, 40%, ou 50%, au mieux ?

Les citoyens seraient heureux d’avoir cette évaluation pour mieux comprendre le qui fait quoi en Europe et en France, et  savoir exactement à quoi sert aujourd’hui un député français..

Les grands « ténors » de la politique française sont tous confinés dans leurs terres, Copé à Melun, Aubry à Lille, Royal à Poitiers, Fabius à Rouen, et Bayrou « l’européen » à Pau, alors que c’est à Bruxelles ou à Strasbourg, et dans les grandes instances internationales que sont prises les décisions qui fixent le destin du pays.

En France, on continue à faire du débat franco-français, alors que notre sort se décide ailleurs.

Les socialistes ont-ils quelquefois pensé que les délocalisations correspondaient aussi à une nouvelle répartition des richesses dans le monde, et qu’il convenait donc de définir une nouvelle approche de la délocalisation  socialiste ?

A la différence de certains de nos chefs d’entreprise, nos politiques continuent à raisonner selon la caricature déjà ancienne du Français « avec son béret sur la tête et sa baguette de pain sous le bras », alors que les décisions nationales se prennent dans les institutions européennes et internationales, et que l’économie française est entrée dans un combat mondial !

.Nos politiques seraient d’ailleurs bien inspirés de remettre rapidement en chantier les institutions européennes : une Europe à 27 n’est pas viable, telle qu’elle est, mais la Commission continue à pratiquer, de façon quasi-clandestine, le fait accompli de nouvelles adhésions.

La Chine et les Etats Unis parlent d’une seule voix et ont tout loisir pour manœuvrer, sur le plan stratégique, les pays qui composent actuellement l’Union, une Europe d’ores et déjà à géométrie variable, les uns dans l’euro et les autres pas !

L’Europe est « l’homme malade » du vingt et unième siècle !

Jean Pierre Renaud