« L’Etat de droit » ? A qui profite le crime ?

  Nous vivons décidément dans un drôle de pays ! Les belles âmes sont toujours à la défense de notre état de droit, hommes et femmes politiques, ou représentants nombreux et actifs des groupes de pression corporatistes ou idéologiques… alors que ce fameux état de droit est de plus en plus au service des criminels et non des victimes, nos concitoyens ou notre collectivité nationale.

            Le cas du défenseur actuel des droits est le symbole de cette nouvelle perversion nationale. Dans un récent passé, il ne se déplaisait pas dans la corruption du système Chirac. En qualité de Garde des Sceaux, il n’éprouva aucun état d’âme (état de droit ?) pour envoyer un hélicoptère pécher le procureur de Paris dans l’Himalaya, dans une des nombreuses affaires Tiberi qui ont défrayé la chronique judiciaire, et pour cause de non droit.

            Il n’est pas besoin d’être un ancien conseiller de la cour de Cass ou un ancien professeur de droit pour estimer que l’état de droit actuel est à revoir complètement.

            Les surveillants de prison font la grève et défendent à juste titre la création d’établissements spécialisés pour les détenus radicalisés.

            Comment accepter que des citoyens qui ont pris les armes contre la France bénéficient du « confortable » état de droit dont bénéficient les criminels « ordinaires » ? Combien coûtent ces procédures en frais d’avocats et en frais de justice ? Combien coûtent les emprisonnements de ces détenus radicalisés dont les médias se font souvent et étrangement les défenseurs ?

       Les affaires Merah et Abdeslam, combien  coûtent-t-elles  à la France ?

       Combien coûtent au pays en monnaie sonnante et trébuchante, et en agressions morales, les violences constatées dans la plupart de nos manifestations, causées par des acteurs masqués et cagoulés ?

        Quand les médias vont-ils enfin nous éclairer sur les moyens de vivre de tous ces casseurs, zadistes ou non zadistes ? Qui les paye ?

       La France continuera-t-elle à encourager ces chienlits et à encourager la violence et à vouer les victimes au sacrifice ?

      Va-t-on enfin appeler un chat un chat, c’est-à-dire traiter purement et simplement les djihadistes comme des ennemis de notre pays, sur le terrain d’une justice militaire ?

Jean Pierre Renaud

« Paris, un Etat Bobo dans un Etat Bobo ! » La piétonisation des voies sur berge !

    En 1993, j’ai publié chez L’Harmattan, un livre intitulé « Paris, un Etat dans l’Etat ».

         Ce livre décrivait dans le détail les institutions parisiennes et montrait comment la Ville de Paris exerçait, sous de multiples formes, au sein même de l’Etat central, national, la puissance d’un autre Etat.

         En 1997, dans un autre livre intitulé « La méthode Chirac »,  j’exposais la façon et les méthodes utilisées par Chirac pour faire de la Ville de Paris qu’il administrait sa plateforme de conquête du pouvoir présidentiel.

        A l’époque, ma longue pratique des institutions parisiennes et de leurs relations ambiguës avec le pouvoir central occupé par la gauche  ou la droite, apportait la preuve des multiples connivences politiques de gestion, que l’alternance de la droite et de la gauche au pouvoir, n’a jamais fait cesser.

       J’ai décrit les grandes difficultés que le contrôle de légalité préfectoral des actes et délibérations de la ville et du département de Paris rencontraient  pour être exécuté.

      Une sorte de négociation qui ne disait pas son nom s’engageait sous l’épée de Damoclès du délai des deux mois de contestation légale possible, un délai qui arrangeait bien certaines affaires, d’autant plus que les services de contrôle étaient submergés par un flux incontrôlable d’actes et délibérations de toute nature.

       A cette époque, le tribunal administratif était exceptionnellement saisi.

      La juridiction administrative a été saisie de la piétonisation des voies sur berge, et c’est une bonne chose, car dans l’exercice de mes compétences d’alors, j’aurais effectivement proposé de saisir le Tribunal administratif pour annuler cette décision.

      Est-ce que c’est le Préfet, représentant de l’Etat central qui a saisi la juridiction administrative ?

       Comme je l’ai déjà écrit sur ce blog, comment admettre que la Ville de Paris opère une « privatisation » publique d’un domaine public qui n’est pas le sien, parce qu’il s’agit d’une voie de circulation d’intérêt national et régional, d’une voie de circulation capitale pour tout ce qui concerne la sécurité, l’économie, la santé, les loisirs et les échanges humains en général ?

        Les élus de Paris oublieraient-ils l’exigence de solidarité citoyenne avec les habitants de banlieue ?

      A mes yeux, cette piétonisation faisait litière de l’intérêt général, du bien commun national et régional, et dans la logique politique de cette équipe municipale, cette décision était clairement antisociale pour les habitants de banlieue.

        Au fur et à mesure des évolutions politiques ou institutionnelles qui se sont produites à Paris, en Ile de France, ou dans le pays, une nouvelle forme d’Etat s’est développée : « Paris, un Etat Bobo  dans un Etat Bobo », sous le signe de nouvelles connivences.

      Depuis l’enquête publique en plein été 2011, j’ai manifesté à plusieurs reprises mon opposition à cette privatisation, laquelle constitue un véritable « fait accompli » juridique et politique.

      Sommes-nous encore au Moyen Age ou au siècle des « blanchisseuses » de Paris ?

      Il semblerait en tout cas que le « fait du prince » prospère toujours !

        Jean Pierre Renaud

        Petit post-scriptum : sans parenté avec le chanteur Renaud et son clip Les Bobos.

Carnets Buron – 9 – 1962 – Evian

Carnets Buron – 9 – 1962 -Evian

« III

Entre les Rousses et Evian (p,236)

       Lundi 19 février, Paris 22 heures

        … A 11 heures, à Villacoublay, un aide de camp du chef de l’Etat nous attendait pour nous prier de nous rendre directement à l’Elysée.

       L’audience a  été brève, de courtoisie en quelque sorte. Les propos du Général peuvent se résumer ainsi :

      « Vous avez fait de votre mieux. Nous allons voir maintenant. En tout cas nous ne nous laisserons pas manœuvrer. S’il y a accrochage à Tripoli, eh bien nous publierons les textes, tous les textes. L’opinion internationale sera pour nous… et nous reprendrons le combat. Merci messieurs. »

     Mardi 20 février

       « Ce matin accueil amical au bureau national du MRP…J’ai brièvement exposé l’économie du système envisagé avec ses trois périodes :

      Transitoire, jusqu’à la proclamation du résultat du scrutin d’autodétermination, pendant laquelle la souveraineté française n’est pas discutée mais où coexistent un haut-commissaire, dépositaire des pouvoirs de la République et un Exécutif provisoire comprenant huit musulmans et trois européens.

      Probatoire durant les trois années qui suivent la proclamation de l’Indépendance (si telle est la solution qui prévaut). Pendant cette période les Français restant sur place doivent bénéficier d’un certain nombre de libertés dans le domaine politique, économique, social et financier. Ces avantages sont garantis indirectement  par les concours que la France apportera à l’Etat nouveau et dont en fait le montant peut varier selon les circonstances, et directement par la présence de troupes françaises sur le territoire jusqu’à l’expiration, du délai convenu.

        Définitive enfin, dans le cadre d’une coopération technique et financière normalement  avantageuse pour les deux parties…

        Mercredi 21 février

     « Le Conseil des ministres consacré aux pourparlers préalables des Rousses…

      Le chef de l’État, prenant acte de l’accord quasi-unanime du Conseil des ministres, remercie le ministre d’État et ses deux collègues ; « C’est dans cette voie qu’il faut donc continuer si, comme je le pense, en face on souhaite vraiment la paix… Quant à la France, il faudra qu’elle parle. Ces résultats auxquels nous aboutissons seront soumis à référendum et nous les ferons mettre en application qu’ensuite…(p,245)

        Lundi 5 mars

        C’est bien à Evian que vont reprendre les pourparlers, officiellement cette fois…

        J’ai grande crainte que sur de nombreux points la discussion soit à reprendre au départ, avec des hommes plus inquiets encore que nous ne l’avons perçu aux Rousses… cent quatre explosions ce matin à Alger et les manifestations les plus diverses : expulsion sous menace des journalistes italiens, incendie de la prison d’Oran, se succèdent à un rythme accéléré ;… (p,247)

IV

Les pourparlers d’Evian (p,248)

        Le 7 mars au soir

       … Ce premier contact – qui a duré de 11h15 jusqu’à 17h30…. m’a laissé l’impression d’un certain malaise de part et d’autre, plus accentué encore chez nos interlocuteurs. (p,249)

       … Le problème essentiel pour le FLN, c’est celui de la période transitoire, comme pouvait l’être pour nous les questions de nationalité et de garantie de la minorité lors de notre dernière rencontre.

             A quoi bon proclamer le cessez-le-feu si, dès l’arrêt des combats dans les djebels, la guerre civile se déchaîne dans les villes, si l’Exécutif provisoire est dépourvu d’autorité réelle, si l’Armée en définitive au lieu de soutenir ce dernier cède aux sollicitations des activistes européens ?

       Voilà la grande crainte exprimée ! ((p252)…       Commentaire : les deux délégations ont beaucoup de mal à s’entendre sur l’ensemble des questions déjà examinées aux Rousses, et je reviens spécialement sur les notes consacrées à l’amnistie :

          « Ce 16 mars au matin… Une fois encore, la bataille s’est déclenchée sur les fameuses annexes militaires que nous n’avions pas eu le temps de rédiger aux Rousses. Elle reprit ensuite à propos de l’amnistie dont nos interlocuteurs demandent que le bénéfice soit étendu aux français qui leur ont apporté leur aide, ce qu’il n’est pas question de leur accorder.

         il s’agit en effet de l’amnistie qui doit intervenir en Algérie dès le début de la période provisoire. Il est normal dans les circonstances où nous nous trouvons que les algériens qui ont combattu pour leur indépendance et ne se sont pas rendus coupables de crimes de sang puissent reprendre place dans l’Algérie nouvelle et participer au scrutin d’autodétermination. Le Gouvernement par contre garde son entière liberté de décision à l’égard des citoyens français nés et vivant en France qui ont transgressé les lois et règlements français…(p,262)

      Ce 18 mars

      « Et voilà ! Nous en avons terminé : nous avons apposé nos trois signatures en bas des 93 pages, fruit du travail de ces douze jours, face à celle de Krim Belkacem…

         J’ai pour ma part conscience d’avoir fait mon devoir au sens plein du mot mais je n’en éprouve aucune satisfaction véritable.

          Certes il fallait en finir ! Dans le climat d’horreur qui se généralise à Alger et Oran, il était nécessaire de tout faire pour utiliser la faible chance – mais la seule chance – que constitue la conclusion des pourparlers.

         Les jours qui viennent vont être des jours de folie et de sang. Les passions ne désarmeront pas parce que ma signature figure au bas d’un bien étrange document. Mais sans cet effort douloureux, pendant combien d’années encore le sang aurait-il continué à couler, quelles convulsions auraient connues la France… » (p,265)

        14 mai à Rocher Noir (à Alger)

        … Je ne sais pas jusqu’à quel point les choses vont aller dans les jours prochains, mais dès à présent il faut admettre que l’irréparable a été commis entre les deux communautés. La grande majorité des Français d’Algérie, sans chercher si elle est victime du FLN, de l’OAS, de la réaction contre l’OAS, du Gouvernement ou de l’évolution du monde est décidée au départ… » (p,266)

       Le 16 mai, 10 heures

     « Je viens en compagnie de mes quatre collègues MRP du Cabinet Pompidou, d’aller porter notre démission au chef de l’Etat.

       Etrange nuit que celle de notre délibération et de nos échanges téléphoniques avec le président de la République et le premier ministre. A aucun moment je n’ai eu vraiment la sensation de participer à l’action qui se jouait.

         Mes amis ne pensaient qu’à l’Europe, le général de Gaulle qu’à l’avenir  du régime.

       Pour ma part mon esprit était resté en Algérie. »  (p267)

&

Commentaire

        Les notes de Robert Buron permettent de vérifier que les négociations avec le FLN ont été conduites de bout en bout sur les instructions du général de Gaulle.

       A la date de ces accords, j’avais depuis longtemps fait mon deuil de mon séjour algérien : je me trouvais faire de la coopération à Madagascar, un pays que je découvrais, venu récemment à l’indépendance.

     Je constatais une fois de plus, qu’après le Togo, l’Algérie, Madagascar n’était pas non plus la France, et que la gestion politique du nouvel Etat laissait beaucoup à désirer.

        Je saisis donc la première occasion, le changement du régime de la coopération pour ne pas apposer ma signature sur le contrat qui m’était alors proposé,  pour revenir en France ! Je précise que ce contrat était très rémunérateur !

                Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Carnets Buron – 10 – Fin – Comment conclure ce texte ? … Avec Alice Zeniter ?

Carnets Buron – 10 – Fin

Comment conclure ce texte ?

Sans conclusion ?

Un vrai gâchis ?

Ou avec la conclusion d’Alice Zeniter ?

« Dans l’art de perdre, il n’est pas difficile de passer maître »

  Il se trouve qu’en même temps que je relisais les carnets de Robert Buron, j’ai eu connaissance de la publication du livre d’Alice Zeniter « L’art de perdre »

         Ce type d’histoire m’était familière et j’ai eu évidemment envie de lire ce livre qui nous projette au cœur de la tragédie algérienne pour tous ceux qui en Algérie ou en France en ont souffert dans leur chair, dans leur intelligence, dans leurs cœurs ; il y en a eu beaucoup dans les deux camps, mais je pense évidemment ici aux algériens et algériennes qui nous ont accompagnés dans la guerre d’Algérie, et que nous n’avons eu ni le courage, ni la loyauté de bien accueillir chez nous, avec leurs descendants.

       C’est l’histoire de la petite fille d’un homme qui avait choisi le camp de la France, et qui s’est trouvée à la fois coupée de ses racines et dans une sorte d’état d’ « entre-deux identitaire » en métropole.

       Son témoignage montre qu’entre l’Algérie et la France, certaines relations humaines sont encore imprégnées de haines recuites, sans espoir de pardon, d’oubli et de deuil.

       Il  est dommage que plusieurs dizaines d’années après l’indépendance de 1962, aujourd’hui 55 années, les pouvoirs constitués d’Algérie continuent à entretenir ce type de mémoire toxique, alors que des centaines de milliers d’algériens et d’algériennes sont venus dans notre pays depuis l’indépendance, venant d’un pays devenu indépendant, avant la deuxième guerre civile des années 1990, et encore après.

          Après un  voyage de découverte « rétroactive » du pays de sa famille, y avoir rencontré des gens ouverts ou fermés, elle en tire une conclusion qu’elle exprime dans le texte d’une poésie que lui a contée son ami Ifren, pour illustrer les désillusions de son voyage.

        Le contenu de cette poésie d’Elisabeth Bishop se situe au croisement de plusieurs chemins de vie, l’amour, la haine, le pardon, le désespoir, ou la lucidité : savoir perdre pour croire à la vie.

      « Elle rit parce que l’apparition de la poétesse américaine dans cette voiture qui longe la côte algérienne à  toute vitesse a quelque chose d’incongru. Ifren commence à réciter :

          « Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître,

            Tant de choses semblent si pleines d’envie,

            d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.

              Perds chaque jour quelque chose. L’affolement de perdre

              tes clés, accepte-le, et l’heure gâchée qui suit.

              Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître. »

              Puis entraîne-toi, va plus vite, il faut étendre

              Tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis

               Le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.

               J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière

               Ou l’avant-dernière de trois maisons aimées : partie !

               Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.

               J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et plus vastes,

               Des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays.

                Ils me manquent mais il n’y eut pas là de désastre.

                                                                                        Page 496

             A la lecture de ce roman de vraie vie, je vous avouerai que je l’ai de beaucoup préféré aux  deux romans qui ont récemment reçu le Goncourt, « L’art de la guerre » et « Le sermon sur la chute de Rome ».

           Ces  deux livres mettent, brillamment et littérairement, en scène des guerres « coloniales », sans en avoir fait l’expérience, pour autant d’ailleurs que l’on puisse classer la guerre d’Algérie dans cette catégorie.

               Avec une conclusion éclair et claire, 1) L’armée française qui a été la mienne en Algérie ne fut pas une armée « coloniale », 2)  En accordant l’amnistie à tous les crimes de guerre commis des deux côtés, pendant cette guerre, les Accords d’Evian ont laissé un poison mortel dans les relations entre la France et l’Algérie, et dans notre histoire commune. 3) le vœu qu’enfin le peuple d’Algérie apprenne aussi que «  Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître ».

     Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

Carnets Buron – 5 – 1960-1961 « Avec ou malgré l’armée »

Carnets Buron – 5 – 1960-1961

II

AVEC OU MALGRE L’ARMEE

Janvier 1960- Mars 1961 (p,113)

 « Dimanche 31 janvier 1960

        Quelle semaine ! Elle m’a épuisé nerveusement et je reste incapable encore de discerner les sentiments qui dominent en moi. Ai-je été d’abord sensible au ton du discours qu’a prononcé le général de Gaulle vendredi aux conséquences heureuses qu’il achève d’avoir ? Suis-je surtout frappé, dix- huit mois après le 13 mai, par l’écart persistant entre les conceptions de la majorité des officiers généraux et supérieurs, de nombreux fonctionnaires et de plusieurs ministres d’une part et de celles du chef de l’Etat pour autant que je puisse être sûr de les connaître, ou celles – simpliste et claire – de l’opinion métropolitaine dans son ensemble ?

        L’abcès qui mûrissait depuis longtemps déjà parait avoir crevé… Il fallait inévitablement en arriver là !

       Sera-t-il vidé, nettoyé … et cicatrisera-t-il enfin ?

      Au fond de moi-même j’en doute. Je reste agacé ou déçu selon le cas, écœuré parfois de l’attitude adoptée par tant de responsables dans cette semaine douloureuse.

      Du côté des  militaires, si je ne suis pas surpris du rôle joué par le sympathique Gracieux, tenté violemment par l’aventure, retenu – faiblement sans doute – par la raison, sensible  à l’influence de ses officiers liés avec tous les comploteurs et les fascisants d’Alger… rôle qu’il va payer cher sans doute, je suis plus inquiet du comportement du général Challe….

      L’Armée dans son  ensemble – ce que l’on appelle ainsi tout au moins – s’est laissée convaincre par le général Ely de ne pas prendre parti publiquement, de ne pas se laisser entraîner à un « prociamento » dont nul général à l’heure actuelle, ne parait en mesure de prendre la tête. Les colonels les plus dynamiques semblent avoir pensé un moment que le général de Gaulle pourrait être contraint de céder à leur pression….

         Le contact que j’ai eu mardi soir avec les deux délégués des colonels au bord de la rébellion m’a éclairé puis exaspéré mais surtout attristé……

      «  Intervenez auprès du général pour qu’il parle, sinon d’intégration, du moins d’Algérie française, car s’il ne rassure pas tout de suite, nous ne répondons plus de rien. »… Les deux officiers estimèrent bientôt qu’ils perdaient leur temps en voulant me convaincre de plaider leur thèse auprès du général de Gaulle…

      Du côté des civils, bien des déceptions aussi !

      La masse est pour de Gaulle parce qu’elle « en a marre » comme beaucoup l’expriment crûment qui comptent sur lui pour éviter un casse-tête dans l’immédiat et se débarrasser d’un cauchemar à terme.

       Mais parmi l’élite, que d’hésitations, que de défaillances ! (p,116)

     Robert Buron passe alors en revue l’état d’esprit assez nuancé de ses collègues ministres, et quant au général : « Je l’ai trouvé aux Conseils de lundi et mercredi, abattu, marqué. En fait, il n’était pas préparé à l’évènement, il ne l’attendait pas.

      Il avait confiance, sinon dans l’Armée, du moins dans son autorité sur elle ; il lui a fallu plusieurs jours pour retrouver son équilibre et sa volonté habituels. » (p118)

      Jeudi 10 mars

     « Où nous mène le prince de l’équivoque ?

       Rien de plus normal, les premiers remous de l’affaire des barricades apaisés, que sa décision « de prendre contact avec l’Armée au combat. »…

      Sur le plan de la solution algérienne, j’ai pour la première fois l’impression que le premier ministre commence à croire à la possibilité du « Cessez le feu »  et à en accepter le principe sans le compliquer de conditions impossibles.

      L’espoir renaissait dans mon esprit après l’inquiétude… quand vendredi dernier, Jean Mauriac accrédité à suivre le Président de la République dans ce que la presse appelle maintenant « la tournée des popotes »  résume les propos du général de Gaulle aux jeunes officiers par les trois phrases suivantes :

      1) la victoire complète de nos armes est indispensable ; elle sera longue à obtenir. »

      2) Il faudra des années pour que l’Algérie apaisée puisse se prononcer sur son sort. C’est vous qui obtiendrez l’apaisement et assurerez les transitions. »

      3) L’indépendance est inadmissible et impensable. La présence de la France sera maintenue à travers une formule que les algériens devront trouver eux-mêmes. »

     Je n’arrive pas à le croire. Pourtant, Mauriac en la circonstance  est vraiment la « source autorisée». Alors ?…

     Sans doute la troisième phrase va-t-elle en réalité dans le même sens que le discours du 16 septembre et marque la solution vraiment désirée par le Général qui n’est pas l’Algérie française d’hier. Mais les deux autres phrases, même si elles ont été dites pour faire passer la troisième, reculent pour des mois ou plutôt des années les chances de la paix…

     Hier, au Conseil des ministres, Michel Debré indique son intention  de faire procéder à des élections cantonales en Algérie à une date prochaine au scrutin de liste et dans le cadre de l’arrondissement….

    Le président de la République demande :

    Quelqu’un a-t-il une observation à faire ?

      Je lève la main : « Mon Général, je crains qu’il ne soit trop tôt pour procéder à de telles élections. Le dégel musulman ne me parait pas prochain, surtout – permettez-moi de vous le dire – compte tenu de la présentation par la presse de vos déclarations dans les mess d’officiers. (Je me retiens à temps d’employer l’expression « populaire », laquelle, employée par un collègue en audience particulière, a déclenché, parait-il l’ire du général.)

      – Vous lisez le Figaro, coupe avec colère le chef de l’Etat, je ne fais pas de « dé-cla-ra-tions » dans les mess. En face des officiers je donne des ordres ou des instructions. Ce que j’ai dit là-bas, M .Terrenoire l’a redit ici lundi soir. Rien d’autre ! »

      Je ne m’avoue pas vaincu, et je réplique assez vivement immédiatement contré par le premier ministre.

      Le général intervient à nouveau :

     « Ah ! Décidément vous les français, vous ne voulez pas considérer les problèmes ; vous écoutez uniquement vos passions ; les uns veulent l’Algérie française et voient tout dans cette optique. Les autres croient à l’indépendance et tournent tous les événements en faveur de leur thèse. ? Pauvre pays ! … », etc. «  (p122)

       Commentaire

       « Chemini, le 26/01/60 :

     Il fait beau, mais le temps a l’air de tourner. Quand il fait beau, j’ai assez d’activité, je recense, je visite des villages, je surveille mes chantiers. Pas de travail de bureau ou si peu !

    A Alger, les affaires ont l’air d’aller mal, mais elles ne provoquent aucun remous à notre échelon. La question d’Algérie est très compliquée… »  (p,149)

       Quelques réflexions :

       « Avec ou malgré l’Armée » : à partir de la mise en œuvre du plan Challe et de sa réussite militaire, je crois sans contestation possible, qu’il était évident que les cartes stratégiques de ce type de guerre semblaient redistribuées entre le Général et une grande partie des officiers qui s’étaient battus et croyaient encore à la possibilité d’une solution algérienne à la française.

       Beaucoup d’entre eux militaient pour la solution de « l’intégration », mais sans jamais en avoir défini le concept et ses conditions d’application. 

       De Gaulle n’avait pas été formaté pour ce type de guerre et n’avait pas fait l’expérience concrète des guerres subversives, sauf à dire que le gouvernement de la France Libre, la Résistance, proposaient quelques similitudes, à mon avis bien éloignées.

      Beaucoup de ses collègues officiers, plus jeunes, s’y étaient en revanche frottés en Indochine – beaucoup d’entre eux y étaient morts, car une promotion de Saint Cyr était morte au champ d’honneur chaque année de guerre –  estimaient qu’il leur fallait convaincre la population algérienne en mettant en concurrence intégration et indépendance.

      Sauf que je n’ai jamais bien su en quoi consistait l’intégration proposée !

      A mes yeux, c’était beaucoup trop tard, mais l’argument portait.

      De Gaulle, « le prince de l’équivoque » ? (p,119)

     Il est difficile de ne pas adhérer à ce type de question – constat, car au fur et à mesure du déroulement du conflit et de la négociation d’un cessez le feu, les esprits les mieux intentionnés avaient beaucoup de peine à interpréter les double-discours, les circonvolutions, les contradictions, les évolutions, sans savoir dans quelle direction le général avait en définitive décidé d’aller.

        Il est évident que beaucoup d’officiers étaient de plus en plus convaincus, au fur et à mesure de ses discours que le Général avait décidé d’abandonner l’Algérie : ils pensaient que son objectif essentiel était la mise au point de la bombe atomique, et donc la préservation temporaire de la zone d’essais du Sahara.

      Mercredi 11 mai (1960)

       Avec d’autres ministres, Robert Buron accompagnait le Général à Saint Nazaire pour le lancement de France, et il lui rendait compte de sa conversation du samedi précédent à Rabat avec Mohamed V.

        Ils abordèrent différents sujets :

      « Brusquement il revient à l’Algérie car cette conférence au sommet (entre les deux super-grands) lui apparaissait à la fois comme un moyen propre à favoriser l’issue qu’il recherche et comme une raison – voire un alibi pour « forcer » celle-ci.

      Il me dit : « Notre devoir maintenant c’est  d’assurer mieux encore notre unité nationale, c’est de mettre fin à la guerre d’Algérie qui nous affaiblit, c’est de nous doter nous-mêmes d’une force militaire suffisante…

     Je lui rappelle une déclaration qu’il m’avait faite cet hiver juste avant les barricades :

      « Si la situation internationale se tend, il faudra bien retirer progressivement l’Armée d’Alger, et par conséquent trouver un arrangement politique. » (p,126)

    Mercredi 15 juin

      « Le général de Gaulle a parlé hier. Allons, les souvenirs de la « tournée des popotes » s’évanouissent ! Ses prises de position ont été plus nettes encore que le 16 septembre et le 10 novembre. Le fil est renoué. Mais le GPRA sera-t-il plus sensible à cet appel qu’aux précédents ? » (p,126)

     Commentaire

      Contrairement à cette notation, les souvenirs de la tournée des popotes ne s’y étaient pas évanouis par miracle et continuaient à entretenir un grand malaise dans le milieu des officiers : ils se posaient la vraie question de la solution politique à proposer susceptible de ne pas trahir nos engagements.

      Première partie du 5

Carnets Buron – 6 – 1961-1962 « Fin de partie » pour le soldat

Carnets Buron – 6 – 1961-1962

Décembre 1960 : « Fin de partie »,  pour le soldat !

     A la fin de chacune des chroniques que j’ai publiées dans mon livre sur cette guerre,  je concluais avec une rubrique intitulée :

        «  Morts ou vivants, ils auraient dit ou ils diraient »

           A la fin de celle intitulée « La lettre d’amour » (p,60), concernant l’année 1960, j’écrivais (p,94) :

           « Le douar reprenait une vie normale, il y avait un café maure , et même un cinéma. Les écoles avaient rouvert leurs portes. Tout semblait dire ; la pacification a réussi, on pouvait la toucher du doigt. Déjà on voyait colonel et sous-préfet, colonelle et sous-préfète venir en tournée pour admirer les beaux paysages du douar.

         Juste une illusion, car le mal était fait. L’histoire avait effectivement franchi ici un pas. Elle ne reviendrait pas en arrière.

       Notre merveilleuse intelligentsia avait vu juste, mais elle avait beaucoup contribué pour qu’il en soit ainsi.

       Le sourire hygiénique de la pacification, des hommes et des femmes pacifiés, avait remplacé le sourire hygiénique du lieutenant de la SAS… » (p,94)

&

            A la fin de l’année 1960, nous avions réussi à organiser les premières élections municipales :

  • Journal de Marche et des opérations du 28ème Bataillon de Chasseurs Alpins du 27 novembre 1960:

        « De huit à dix-sept heures, élections municipales dans le douar des Béni-Oughlis (El Flaye, Tinebdar, Tibane, Tiliouacadi, Djenane) activité de patrouilles et d’embuscades sur toute l’étendue du quartier.

      Elections des maires des communes d’El Flaye, Tibane, Tilioucadi et Djenane » (p,264)

  • Extraits de lettre à mon épouse : « Vieux Marché, le 27/11/60

            « Il est 22 heures 10 et je me suis levé à six heures, je suis vanné parce qu’il y avait trop de choses à faire pendant la journée.
Je te parlerai plus longuement de ces élections demain, satisfaisant, des votes équilibrés. Dans une de mes communes, la liste présentée n’est pas passée. Il y a eu une majorité de votes blancs, car cela prouve que ces élections se sont passées honnêtement… » (p264)

            Vieux Marché, le 28/11/60

            « Je vais d’abord te raconter rapidement cette journée d’élections. La veille, la tournée de tous les villages m’avait crevé.

            Le matin, je m’étais levé tôt pour la mise en place des bureaux de vote et vers dix heures tout collait à peu près bien…

       Le dépouillement a duré jusqu’à 20 heures 30, donc une fois la nuit tombée, tout un symbole, un dépouillement dans des conditions de fortune, mais en présence de nombreux civils.

      A ce point de vue, c’était déjà une réussite. En finale, j’ai dû tous les raccompagner en camion dans leurs villages respectifs,  et ça, c’était moins drôle… » (p,265)

        A la fin de l’année 1960, la paix civile était revenue dans le douar. Dans ma SAS, les écoles fonctionnaient à nouveau, l’eau avait été rétablie, et les mairies brûlées étaient ou reconstruites, ou en voie de l’être. J’avais créé une salle de cinéma artisanale et une petite coopérative d’épicerie. Dans la vallée, à Takrietz, j’avais fait acheter quatre paires de bœufs. Des travaux de tout à l’égout avaient été lancés dans une dizaine de villages, et une piste avait été aménagée entre Chemini et Boumellal…

       En cours d’année, il m’était devenu possible de visiter à pied tous mes villages, avec mon seul garde du corps, un ancien rebelle fait prisonnier, un type formidable, de descendre en jeep à Sidi Aïch, dans la vallée, sans protection particulière.

     Des élections municipales avaient été organisées dans les trois communes…

       Ceci dit, et comme je l’ai écrit à plusieurs reprises, tout au long de mon séjour, j’ai eu le sentiment d’être le porteur du « sourire hygiénique de la pacification. »

        Rappelons que dans un de ses bulletins, la FNACA, dont je ne fais plus partie, avait publié mon interview en écrivant, si je me souviens bien « le seau hygiénique de la pacification », une expression que j’avais fait rectifier dans un numéro suivant, et qui l’avait été dans un format tout à fait modeste.

       Qu’ajouterais-je en conclusion de cette première partie, pour la résumer, sinon de publier un extrait de la même chronique que je citais plus haut, relative au contingent, à son état d’esprit : ce dernier avait pu constater que dans les djebels et le bled, l’Algérie n’était pas la France,  qu’il ne comprenait pas les enjeux de ce conflit, d’autant moins que les officiers eux-mêmes éprouvaient de plus en plus de difficulté à suivre les circonvolutions successives de la politique du Gouvernement.

       En définitive, une seule chose les intéressait, la Quille, c’est-à-dire le retour chez eux le plus vite possible.

      Avant même que de Gaulle ne largue l’Algérie, et à l’occasion du putsch raté des généraux au printemps 1961, l’attentisme actif qu’une grande majorité de membres du contingent fut sans doute un des facteurs-clés du dénouement de ce conflit.

    A la fin de la chronique citée plus haut, « La lettre d’amour », j’écrivais :

         « Les petits gars du contingent avaient une obsession plus prosaïque, la quille, le calendrier et le blanc des jours que l’on voulait avoir mangé le plus vite possible par le noir du stylo. Il fallait décidément une bonne petite guerre pour que des hommes de vingt ans veuillent biffer d’un coup deux années de leur vie.

       Et des quilles, il y en avait de toutes les sortes, la petite maigrichonne, ou la malicieuse, la quille bijou portée en collier, celle que l’on accrochait en sautoir, celle qui pendait à la ceinture.

      La quille en bois naturel, la quille enluminée, la quille bleu blanc rouge, la quille miniature et la quille monumentale, celle que l’on dressait au milieu de la carrée.

      La quille laïque et la quille bénie secrètement, la quille porteuse de chance.

      On ne pensait plus qu’à ça. Elle  envahissait tout.

     La quille joyeuse, sautillante, exaltante, celle des quelques semaines et des jours avant la libération du service militaire.

     Manquaient à la parade les quilles revêtues de noir de ceux qui ne reviendraient jamais d’Algérie. »  (p,95)

      Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés

Robert Buron – 7 – 1961 – 1952 – Les négociations sinueuses

Carnets Buron – 7 – 1961-1962

Deuxième Partie : les négociations sinueuses

Robert Buron, ministre du Général, dans la gueule du loup !

III

« Le putsch de la Saint Georges (p,130)

Avril 1961

21 avril 1961, à minuit dans ma chambre du Palais d’Eté

A son arrivée à Alger, à 22 h 10,Robert Buron constatait que la situation  y était très tendue.

            22 avril, en fin d’après midi

          Je n’avais pas éteint depuis plus de deux heures quand je fus réveillé par du bruit à ma porte.

        Au premier éclair de conscience je me sens mal à l’aise, nauséeux et in quiet.

      Quelqu’un est entré, se penche sur moi et mon cerveau encore flottant parvient, à enregistrer dans l’obscurité : « Excusez- moi, Monsieur le Ministre; et ne riez pas. Le palais est investi par les parachutistes. M.Morin pense que vous préférerez les recevoir debout plutôt que dans votre lit. Je vous assure, ce n’est pas une plaisanterie. »

       J’allume et rassemble rapidement les éléments de mon être.
      En face de moi, Planty, le chef de Cabinet du Délégué général me donne rapidement quelques précisions : « C’est un coup de force militaire. Il semble que Challe et Zeller soient dans le coup. Depuis un moment déjà les sections du 1er REP entourent le palais et occupent les jardins… » (p,132)

     Je laisse le soin au lecteur curieux de cette période de l’histoire de l’Algérie encore française d’aller à la sorte de reportage des faits que proposait Robert Buron, victime et prisonnier de la conjuration. (p,132 à 161)

            Le seul moyen de communication qui restait aux prisonniers fut le transistor, un petit appareil radio qui fit alors des merveilles pour aider de Gaulle à dénouer cette nouvelle crise, car il servit de  caisse de résonnance formidable pour informer les soldats du contingent de la situation et de la menace qui pesait sur leur destin, alors que dans leur très grande majorité ils n’attendaient que « la quille », car la guerre d’Algérie n’était pas leur guerre.

            Les généraux qui commandaient alors les troupes en Algérie étaient divisés, et beaucoup d’entre eux hésitaient à rallier le putsch. Beaucoup d’entre eux connaissaient bien l’état d’esprit du contingent.

            « Ce 23 avril, 11 heures du matin

       Réveil matinal ! Hier le temps était beau. Aujourd’hui, le vent fait rage.
            Alger est calme. On n’entendait aucun klaxon… Depuis hier à l’aube, sans qu’un seul coup de feu ait été tiré, l’Armée assure tous les pouvoirs en Algérie. Arrivés à Alger, les généraux Challe, Zeller et Jouhaud sont à sa tête, en liaison avec le général Salan, pour tenir le serment du 13 mai : garder l’Algérie. »….

        Ce même jour, 20 h 30

       Le général vient de parler :

      « Nous aussi avons senti en entendant le chef de l’Etat que l’échec du « quarteron » de généraux était acquis… Quelle différence entre la certitude exprimée par le président de la République et l’hésitation dont témoignent les rebelles qui après deux jours n’ont pas su décider encore que faire de nous ! » (p,145)

         Ce 24 avril à In Salah, 13h30

        Le ministre, les hauts fonctionnaires et  les généraux arrêtés sont envoyés au Sahara, à In Salah :

… « Morin, Verger, Aubert, Planty, le procureur Jourdan, mes deux collaborateurs et moi-même ainsi que le général Gambiez (1) que je connais peu et le général de Saint Hélier que je ne connais pas du tout…(p,145)

      Mardi 25 avril, 14 heures

    « A  l’aube, je suis réveillé en sursaut par un fort grondement mais me rendors très vite.

     Quand je me lève enfin, L’Helgen, qui a déjà musé dans la cour, me renseigne : l’essai atomique prévu a eu lieu à 5 heures et demi…» (p,150)

       Le putsch a échoué, Robert Buron est rapatrié à Alger :

       Mercredi 26 avril, 10 heures du matin dans le Nord-Atlas qui cette fois nous ramène à Alger. (p,153)

     « Je n’ai pas dormi et bu trop de whisky pour fêter la fin de notre aventure avec tous les prisonniers libérés. Je viens de somnoler deux brèves heures, dans l’avion surchargé après l’avoir décollé moi-même, non sans peine, dans l’air trop léger. Je me secoue car ce serait dommage de ne pas noter ces impressions toutes fraîches.

      Hier après-midi, prisonniers et gardiens ont été pris d’une même fièvre. Les transistors ne captaient qu’une friture exaspérante et cependant la même conviction s’imposait à tous, quelques que fussent les vœux secrets ou affirmés : la situation avait basculé, la rébellion allait s’effondrer… quelques minutes après 19 heures, il devient possible d’entendre nettement Radio-Alger, mais aussi Radio Monte-Carlo

      Les événements se déroulent de plus en plus vite. En dehors d’Alger le pouvoir retourne progressivement aux préfets et aux généraux fidèles……

       Mercredi 26 avril, 21 heures (toujours en avion, cette fois dans la caravelle d’Air Algérie vers Paris)…Je prépare une déclaration pour le représentant de la RTF que je trouverai certainement à Orly :

     « Le transistor a décidé de l’issue du conflit. Grâce à lui l’homme de la rue en France et le petit gars du contingent en Algérie ont réagi à l’unisson… »  (p,156)

     Jeudi 27 avril

   L’arrivée hier restera pour ma femme, ma fille et moi un souvenir inoubliable.

      A peine engagé sur la passerelle accolée à l’avion, je me suis trouvé happé par une cinquantaine de journalistes et quinze photographes…

     Maintenant je rentre de l’Elysée.

    La conversation avec le général a été étonnante. Il aurait aimé que je lui explique comment les choses s’étaient passées à la manière dont un capitaine fait son rapport au colonel.

… un moment même il s’est laissé entraîner à philosopher sur la situation et m’a déclaré : « Que voulez-vous, Buron ? Il est un fait dont ils ne se décident pas à tenir compte, un fait essentiel pourtant et qui fait échec à tous leurs calculs ; ce fait c’est de Gaulle. Je ne le comprends pas toujours bien moi-même… mais j’en suis prisonnier…. » (p,159)

    Samedi 29 avril

    Le calme revient dans les esprits. Mais un tournant est pris… »  (p,160)

&

    Robert Buron consigne alors dans ses notes le déroulement des négociations secrètes avec le FLN, et je laisse le soin au lecteur intéressé de lire ces notes dans leur détail.

     Comme je l’ai écrit plus haut, leur déroulement prit souvent le tour d’un roman d’espionnage, de coups de théâtre, de rendez-vous secrets, en montagne, dans le Jura, dans des lieux improbables, dans la neige, etc…

    Je me contenterai de retenir quelques-unes de ses notes, sans revenir sur les Accords d’Evian eux-mêmes.

    Sur ce blog, j’ai déjà donné mon point de vue sur ces Accords d’Evian signés en 1962, entre autres par Robert Buron, en regrettant que la France ne se soit pas donné alors les moyens d’obliger le FLN à les appliquer strictement, car elle en avait effectivement les moyens.

&

«  IV

Les contacts se nouent et se dénouent (p,162)

     11 juin 1961

      « 3) A tout le moins, les discussions – voire le refus de discuter – auront rendu officiels en quelque sorte les sujets d’opposition fondamentale entre les deux parties : statut des minorités que Belkacem Krim sembla avoir abordé en termes chaleureux et humains, participation des différents courants d’opinionalgériens à la mise sur pied des institutions provisoires, et surtout destin politique du Sahara…

      Un collègue m’a rapporté un propos du général de Gaulle :

     « On peut accepter beaucoup de choses ; on ne peut pas abandonner le Sahara purement et simplement au FLN » 

     Les conversations sont suspendues. Reprendront-elles vraiment le mois prochain ?

    Ne vaudrait-il pas mieux faire avancer les choses au cours de contacts discrets et plus approfondis que ceux qui ont précédé Evian ?

Combien de temps cette guerre va-t-elle durer encore ?… »  (p164)

       « 28 juillet (dans l’avion qui me ramène de Lomé à Paris)

        Sylvanus Olympio m’a réservé un accueil chaleureux. Hier j’ai inauguré avec lui la nouvelle aérogare construite par nous et les discours ont été plus optimistes qu’il n’était de règle ces derniers temps entre la France et le Togo. » (p,166)

       Jeudi 31 août

       Au Conseil des ministres le chef de l’Etat est tendu et les prétextes ne manquent pas à sa mauvaise humeur.

     A l’usage des nouveaux collègues il fait un bref exposé sur la politique algérienne du Gouvernement :

      « Notre politique, et je m’étonne qu’on s’obstine à ne pas le comprendre, c’est le dégagement.

     Pour nous dégager honorablement, si les gens d’en face le veulent, nous sommes prêts à traiter avec eux. S’ils ne le veulent pas, que l’Algérie enfante alors et fasse venir à la lumière des hommes qui prennent des responsabilités, mais qu’elle le fasse vite ; car sinon, ce sera le regroupement puis le dégagement tout de même, mais sans obligations pour nous.

      Je pense toujours à ces jugements derniers primitifs où les diables emportent les âmes vers l’enfer. Pauvres Algériens ! de même que ces âmes, ce ne sont pas les diables qui les entraînent qu’ils maudissent. C’est vers les anges qu’ils lancent des injures et brandissent le poing. Eh bien, s’il en est ainsi, que le diable les emporte ! » (p,170)

(1) Je fis plus tard la connaissance du général Gambiez, alors à la retraite, qui avait accepté de préfacer mon petit bouquin sur les stratégies indirectes.

           Jean Pierre Renaud  –  Tous droits réservés

Carnets Buron – 8 – 1962 – Evian

Carnets Buron – 8 – 1962 – Evian

Troisième Partie

LES ROUSSES ET EVIAN (p,163)

I

La négociation définitive se prépare

Janvier-Février 1962

21 janvier 1962

        « La situation est préoccupante.

        Alger et Oran redeviennent des capitales de violences et de folie. Dans les quinze premiers jours de l’année, cent dix européens et cent quarante musulmans ont été assassinés pour le compte de l’OAS.

      A Paris comme à Toulouse et à Nice, des dizaines de lycéens encadrés par des représentants de commerce et quelques ouvriers sans emplois, eux-mêmes aux ordres d’officiers déserteurs, multiplient les plastiquages de « semonce » ou de « sanction ».

       Les réactions de l’Exécutif  sont bien molles ; et celles de la Justice inexistantes…(p,175)

      Venant de Marseille, j’ai reçu une condamnation à mort signée OAS bien précise et sans bavure…(p,176)

     30 janvier (dans la Caravelle qui me ramène de Paris)

       Quatre jours dans le Sud Oranais : Oran, Saïda, Aïn Sefra, Gery ville, Aflou, Tiaret, Djelfa, la Reghaïa…(p,178)

        Lundi 5 février

       « Les pourparlers secrets sont en effet bien avancés. Dès mon retour, mardi dernier, Michel Debré m’a appelé : « Joxe a-t-il pu te joindre ? Non ! je lui laisse le soin de te faire la surprise. Téléphones lui dès demain et reprends contact avec moi. »

    Mercredi matin, Louis Joxe m’explique ce que je pressentais. Le Président de la République, constatant l’avancement des négociations secrètes, pense le moment venu de prendre des décisions fermes… »(p,183)

      Robert Buron est alors désigné avec Jean de Broglie pour accompagner Louis Joxe dans la négociation avec le FLN.

      « Vendredi 9 février

       Lundi dernier, ultime séance de travail chez Joxe.

      Le Président de la République, assisté de Michel Debré, nous a reçu tous trois mardi puis de nouveau tout à l’heure, car c’est demain que nous devons gagner le lieu de rencontre – encore secret pour moi.

      Le général de Gaulle nous a donné ses dernières consignes dans le style qui lui est propre :

    « Réussissez ou échouez mais surtout ne laissez pas la négociation se prolonger indéfiniment… D’ailleurs ne vous attachez pas au détail. Il y a le possible et l’impossible…

      Pour la nationalité n’insistez pas trop pour que les européens soient algériens de droit… Quant au Sahara, ne compliquez pas les choses… Il n’est pas possible d’aboutir autrement qu’en laissant l’Algérie décider de son sort politiquement.
     Sur le plan économique, tâchez de préserver l’essentiel et sur le plan militaire aussi… Enfin… faites pour le mieux. »  (p,187)

II

« L’entrevue secrète des Rousses (p,190)

11-19 février 1962

Lundi 12 février, Chalon (le matin à la sous-préfecture)…

     Dimanche, premier jour de la négociation  secrète…. Il est environ 13 heures passées, quand après avoir traversé le village des Rousses, nous nous arrêtons brusquement derrière un grand chalet aux volets fermés, situé au bord de la route qui mène vers la frontière suisse.

      C’est le Yeti, le chalet des Ponts et Chaussées…(p,194)

      13 h 35… Venant de la Suisse trois voitures virent avant d’arriver au Yéti.

      Voici nos « vis-à-vis «  ( Comme s’exprime le Canard Enchaîné)

      Nous nous retirons et fermons les volets dans la grande pièce du fond où auront lieu les pourparlers…Le Préfet Aubert nous apprend que les délégués du GPRA sont au nombre de sept…

       Robert Buron tire le portrait en couleurs des sept négociateurs algériens (p,195,196)

       … A 15h 25, abandonnant les échanges de points de vue généraux, les deux délégations décident de passer à l’examen des textes qui vaudront décision législative pour l’Algérie par le seul fait du référendum d’autodétermination, si celui-ci conclut à l’indépendance assortie de la coopération avec la France…

      Lundi 12 février (suite)

      (Notes prises au cours de la séance de Challain)…

      Ce n’est qu’à 14h 30, après une odyssée assez étonnante… et épuisante, à en croire les inspecteurs helvétiques qui accompagnent les algériens, que ceux-ci arrivent enfin, ayant roulé près de cinq heures dans la neige depuis l’hôtel suisse qui les abrite…. (p,202)

     Les deux délégations continuent à examiner les bases d’un accord… La situation est préoccupante pour la délégation française. Nos interlocuteurs paraissent décidés à discuter des moindres détails. Il faut absolument les obliger à montrer leurs cartes. Jusqu’alors, ils n’ont fait aucune proposition pratique et se contentent de discuter âprement et mot par mot nos propres projets. Cela ne peut mener à rien. Nous devons renvoyer la balle et leur passer la parole.

     A 18h40 le Général (de Camas) et Ben Tobbal ayant terminé leur aparté se déclarent prêts à faire rapport…

      La négociation s’enlise et après une mise au point :

      Finalement le calme revient. Rendez-vous pris pour les Rousses d’un abord plus facile pour les algériens et au plus tard à 14 heures. Il faut en finir avec les questions militaires, approuver les conventions de coopération qui ne posent pas de graves problèmes et aborder si on le peut les deux grandes questions : la protection des minorités européennes sur le rapport de Malek et de Leusse et la composition de l’Exécutif provisoire qui aura avec le Haut-Commissaire la responsabilité de diriger l’Algérie pendant la période transitoire… Nous allons devoir nous mettre d’accord sur neuf noms…

    A 21h 5 la séance est levée…

    L’écoute de la radio reste toujours aussi étonnante. On nous cherche partout… sauf où nous sommes. (p,206)

     Mardi 13 février (aux Rousses)…

     Dès la reprise nous proposerons donc de ne délibérer qu’à sept : les trois ministres français et les quatre membres du GPRA…

     Nous déjeunons … La neige tombe encore mais rien ne vient du côté suisse. C’est à 15h30 seulement qu’arrivent les algériens… Le climat est meilleur que la veille…A vingt heures nous entamons ce que nous espérons pouvoir être la vraie négociation, le package deal comme diraient les Américains. Chaque concession devra être payée d’une concession  équivalente…

      Les algériens se retirent à 22h30… Nous passerons la nuit sur place…

     Mercredi 14 février (les Algériens ont rencontré beaucoup de difficultés pour venir sur des routes enneigées)

    A 17h30 nous reprenons contact dans la salle habituelle devenue la chambre de Jean de Broglie la nuit…

       Les discussions reprennent  jusqu’après 20 h 30, terme qui avait été fixé pour la fin de la séance de travail.

    … Il nous faut arrêter clairement les points sur lesquels nous serons intransigeants :

     Acquisition de la nationalité,

    Droit des minorités d’origine française en Algérie pendant la période probatoire,

    Garanties accordées aux citoyens français en Algérie à l’expiration de celle-ci,

    Durée de la concession de Mers el Kébir,

     Délai d’usage des bases sahariennes,

         Détermination flexible de l’aide financière, quitte, pour obtenir satisfaction dans ces domaines à consentir des concessions supplémentaires sur les autres. «  (p,216)

Carnets Buron – 1956-1958 Le pourissement

Carnets Buron – 2 – 1956-1958

III LE POURRISSEMENT (p,41)

Octobre 1956– Novembre 1957

         Vendredi 19 juillet

        « La situation pourrit doucement, semble-t-il en Algérie cependant que dans le pays le découragement gagne peu à peu. » (p,56)

         Le débat sur les pouvoirs spéciaux a ébranlé beaucoup de consciences :

       « Le terrorisme que fait régner le FLN dans certains quartiers de Paris et de plusieurs grandes villes peuplées de nord-africains est aussi révoltant évidemment que celui qu’il pratique en Algérie contre les fermiers d’origine européenne ou contre les musulmans loyaux et sans doute est-il plus vivement ressenti par l’opinion parlementaire.

        Certains députés du Nord sont écœurés par les procédés utilisés par le FLN pour détacher du MNA de Messali Hadj les ouvriers qui sont affiliés…

       Les tensions ont été très fortes au sein du groupe MRP…( p,58)

        Commentaire

      Le FLN procédait à une épuration de l’« ethnie politique » du MNA.

       « Dimanche 22 septembre (dans le DC7 qui me ramène de Nouméa à Paris… en 57 heures)

        Depuis le 1er octobre dernier, j’ai parcouru 170 000 kilomètres en avion ; j’ai séjourné plus de quarante jours en Amérique, trente en Afrique – dont 15 à Madagascar, aux Comores et à la Réunion au mois d’août – huit en Asie et quinze en Océanie… J’ai beaucoup vu et, je l’espère, beaucoup retenu depuis un an mais ne me suis pas assez concentré sur l’essentiel, c’est-à-dire le problème algérien…. (p,60)

        Mardi 1er octobre

       Le Gouvernement vient d’être renversé…

       Vendredi 18 novembre 1957

     « Le 18 octobre, l’Assemblée n’a pas investi Antoine Pinay… Une fois encore il apparait que dans l’Assemblée actuelle, toute majorité est « introuvable »…. Rien ne va plus ni à Paris, ni en Mayenne… ni ailleurs en France j’imagine…

        Le gouverneur général Delavignette a démissionné le mois dernier de la Commission de Sauvegarde instituée par Guy Mollet (Maurice Garçon et le représentant des anciens combattants ont d’ailleurs imité son exemple).

        Je l’ai rencontré récemment.

       Il est grave, triste mais net. Sa pensée, il me l’a résumée en trois phrases. « Ils s’entraînent là-bas et feront de même un jour en France. Il est grand temps de réagir si l’on croit encore à la liberté. Nous n’avons pu voir les témoins vraiment utiles; certains de ceux qu’on nous a laissé voir ont été sanctionnés par la suite »

        Il ajoute : « La situation pourrit rapidement »…

        J’ai vu, j’ai rencontré, j’ai reçu, j’ai lu… je suis écœuré. Je ne suis pas le seul à l’être. Mes mayennais sont à leur manière tout aussi troublés que moi. La durée – trente-cinq jours – de la crise ministérielle les a indignés. La situation financière les préoccupe et je n’ai pas le droit – au contraire – de les rassurer. Mais surtout, la situation en Algérie leur parait insupportable.

           Il y a dix-huit mois, ils ont accepté le sacrifice demandé. Il fallait en finir et pour cela le contingent était nécessaire. Soit ! mais comment 500 000 hommes, bien armés, n’ont-ils pu écraser en un an quelques milliers de fellaghas ? Les lettres de leurs fils les déroutent qui ne manifestent aucune sympathie pour les « Pieds Noirs » mais beaucoup de compréhension pour les musulmans, ceux du bled tout au moins. Et enfin les morts s’ajoutaient aux morts sans que l’issue soit en vue.

           La semaine dernière, j’étais à Bouère pour une fête locale. Le maire venait de m’exprimer son inquiétude devant l’état d’esprit de la commune qui comptait déjà deux tués parmi ses jeunes. Une heure après, un gendarme lui apportait en pleine séance le télégramme officiel annonçant le décès d’un jeune cultivateur dont le frère était revenu de là-bas, l’an dernier, pensionné à 50% pour tuberculose !

        « Gouvernement pourri, parlement pourri, situation pourrie ! » Telle est l’opinion générale. Ce qui empêche les poujadistes de l’exploiter comme ils le pourraient, c’est la prise de position sans nuance de leur chef en faveur de « L’Algérie française ». Là, il cabre les travailleurs des champs et des villes. A cela tient peut- être le destin de la République. » (p,64,65)

         Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Carnets Buron – 3 – 1958 Effacement du régime

Carnets Buron – 3 – 1958

IV EFFACEMENT DU REGIME (p,66)

Février- Juin 1958

         « Mardi 11  février 1958

         Cette affaire de Sakiet Sidi Youssef est lourde de conséquences… Mais Sakiet est en cette Tunisie dont nous avons refusé, il y a quelques mois l’offre, présentée conjointement avec le Maroc, de s’entremettre pour rétablir la paix…

      Le Parlement est malade, empoisonné par la guerre d’Algérie et l’impossibilité d’y mettre fin par une victoire qui ne se dessine guère après quatre ans de combat ou par un compromis que les français d’Algérie ni même l’Armée ne veulent accepter parce qu’il aboutira tôt ou tard à une forme d’autonomie, puis d’indépendance…

        Faut-il chercher une solution ailleurs ? (p,67)

        Il s’agissait de faire appel au Général de Gaulle :

           « Pour le reste, je suis un peu surpris de voir des hommes, de tendance gauchiste parfois marquée, mettre leur dernier espoir dans le général de Gaulle. A quel point la IVème République les a-t-elle donc déçus ! » (p,68)

         Robert Buron accepte d’entrer en contact avec le général :

        Vendredi 21 février

      « Au moment où je descendais l’escalier qui m’avait conduit au cabinet du général de Gaulle, rue de Solferino, le colonel de Bonneval m’a rattrapé par la manche : « Comment l’avez-vous trouvé ? m’a-t-il-soufflé. En bonne forme, n’est-ce pas ? »

       « Oui, certes, j’ai trouvé mon interlocuteur en bien meilleur état physique que je l’imaginais.

      Il y a douze ans, je l’avais vu, pour la dernière fois, à la veille de sa démission  dans un couloir de l’Assemblée, mais de loin… A mesure que la conversation se prolongeait – elle a duré trois quarts d’heure – une autre image s’imposait à moi, inspirée par La Loi, le roman de Roger Vailland, celle de Don César, grand seigneur âgé, prisonnier d’un style  qui bien souvent lui dicte ses attitudes quotidiennes, cependant qu’en son for intérieur, ayant accepté de vieillir, il se sent presque complètement « désintéressé »…

        Le Général pour  sa part m’a tenu surtout des propos découragés, énoncés d’une voix lasse :

  • Il est trop tard… la situation ne peut pas être rétablie avant plusieurs années et je serai alors trop vieux. Il faut d’abord que les français aillent au fond du fossé avant de pouvoir remonter la pente…
  • Parler ! je ne dis pas non, mais à quoi bon dans la période actuelle ?
  •  Non pas pour nous, Général ! mais pour les jeunes et aussi pour que votre pensée soit connue clairement, à laquelle tant de Français peut-être se référeront demain.
  • Hum ! je réfléchirai mais voyez-vous, Monsieur Buron, il n’y a rien de bon à faire dans ce pays divisé entre les partis, les factions…

Le général balayait alors la situation et les perspectives des anciennes colonies :

      … Mais je vous le répète, monsieur Buron, ajoute-t-il, il est trop tard, ce n’est plus la France qui décidera de cette évolution comme il eut été possible il y a douze ans, ce sont les événements qui commanderont et, pour nous, je prévois l’avenir en noir… Oh ! je ne doute pas du destin de la France, mais nous devrons rester longtemps encore dans le tunnel avant de revoir le jour. ..

      Mes amis ont raison. Il peut être encore un élément essentiel du grand jeu politique qui se prépare.

     Mais comment compte-t-il jouer sa partie ? A-t-il vraiment envie de la jouer ?

     Bien fin qui peut le dire aujourd’hui ! » (p,71)

      Vendredi 28 février

       La presse annonce ce matin que de Gaulle va sans doute parler. Que s’est-il passé depuis la semaine dernière ?… Dans les djebels les combats augmentent en intensité et les pertes sont lourdes ; en métropole les agressions FLN se multiplient, visant principalement les agents de l’ordre… » (p,73)

     Mardi 11 mars

      Déjeuner avec l’ambassadeur des Etats-Unis Amaury Houghton chez un de ses collaborateurs…. La discussion s’engage enfin sur l’Algérie. A.Houghton m’interroge sur l’impossibilité où parait se trouver le Parlement français de définir une politique raisonnable et par conséquent libérale. Je réplique aussitôt :

          Une telle politique ne peut être majoritaire que si le Gouvernement qui le préconise accepte le soutien communiste. C’est ce qui la condamne par avance aux yeux de la droite… » (p,74)

         Dimanche 20 avril, 18 heures

        «  Je rédige ces notes en attendant les résultats du dépouillement qui se poursuit dans les dix communes du canton de Villaines la Juhel, où, Conseiller général, je suis soumis à réélection…

         Nous avons beaucoup parlé de la guerre d’Algérie…

       J’ai donc fait paraître dans Mayenne-Eclair, le journal mensuel du MRP du département, les lignes suivantes : « Le drame algérien nous paralyse sur le plan de la politique internationale ; il nous crée sur le plan intérieur les plus graves difficultés que le parti communiste exploite sans vergogne et qui risquent de bloquer le fonctionnement du régime »…Il y a les droits incontestables des européens installés de longue date en Algérie…il y a les méthodes abominables employées par les fellaghas à l’égard de leurs frères musulmans qui voulaient travailler avec nous dans la paix… mais il y aussi l’éveil des musulmans d’Afrique du Nord à la vie moderne et leur aspiration à l’affirmation politique.

         Je conclus : « Il faut maintenant sans tarder, par un changement de direction et par l’intervention de mesures libérales, provoquer une détente du climat actuel et faire renaître un minimum de confiance entre musulmans et européens. Alors l’heure de la négociation aura sonné… Je m’étais montré honnête et prudent.

        « Trop prudent », m’ont dit à ma grande surprise beaucoup d’électeurs et plus encore d’électrices…

        Mardi dernier, le Gouvernement Félix Gaillard a été renversé dans un climat lourd et déplaisant d’anti-américanisme forcené… (p,76)

       Jeudi 8 mai

      « J’ai passé sous silence dans mon article de Témoignage Chrétien la rencontre organisée par Mahroug, ce kabyle catholique replié à Rabat que m’a présenté mon ami C.S. il voulait me mettre en présence de trois dirigeants FLN provisoirement installés au Maroc… la discussion a été passionnante…. Mais ce qui m’a le plus impressionné c’est leur conviction profonde que le temps travaille pour eux et qu’ils n’ont aucun intérêt à chercher des compromis.  Plus tard une négociation  sérieuse interviendra, plus elle sera favorable et si aucune négociation n’intervient, eh bien notre victoire sera plus tardive… mais elle sera totale… » (p,80)

         Pflimlin est pressenti pour être Président du Conseil :

      « Pâle et  résolu, le Président désigné fait une courte déclaration de style défense républicaine : «  Il s’est trouvé à Alger des chefs militaires qui on pris une attitude d’insurrection contre la loi républicaine… »

       Mercredi 14 mai

     A 3 heures du matin, le résultat est a été proclamé : 273 voix pour ; 129 contre ; 134 abstentions…

     Jeudi 15 mai

     Hier soir à Dinard réunion du congrès MRP… A 17 heures, avant que je monte à la tribune, on me tend deux flashes de l’AFP. L’un annonce que de Gaulle après avoir expliqué « l’éloignement des peuples associés, le trouble de l’Armée…etc, par le fonctionnement du régime des partis, se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République. » (p,84)

     Commentaire

      A Paris, comme à Alger, le méli-mélo politique continuait. Aucune note de Buron sur le coup d’état du 13 mai à Alger, alors qu’il changeait complètement les données du problème algérien et facilitait le retour de de Gaulle au pouvoir. C’était en tout cas mon opinion, mais pas uniquement la mienne.

Dimanche 25 mai

     « Dans l’Ouest où je suis parti réfléchir et dormir quarante-huit heures, la femme de Roland Pré me joint par téléphone. Tour à tour, elle m’apprend que la Corse est passée aux mains d’un commando venu d’Alger et soutenu par des manifestants locaux, que la Chambre est convoquée pour demain, enfin que le général de Gaulle souhaite me rencontrer mardi matin, dès son arrivée à Paris…

        Mardi 27 mai

       « La radio de 7 h 30 annonce que le Général a regagné Colombey au petit jour… Il n’a plus besoin de me recevoir, ayant vu Pflimlin cette nuit à la Celle Saint Cloud, Pflimlin sans Guy Mollet qui, craignant les réactions de son parti, s’est décommandé à la dernière minute…

         Alors à midi, le tickler de l’Assemblée reproduit une déclaration venant de Colombey ; « J’ai entamé hier le processus régulier de formation d’un  Gouvernement républicain. » (p,93)

      La IVème République vient de disparaître. »

      Commentaire

Juin 1958 – Notre promotion sort de l’Ecole, trois mois de vacances avant notre incorporation à l’Ecole Militaire de Saint Maixent où nous devrons effectuer une instruction militaire de six mois plus approfondie que celle de la Préparation Militaire Supérieure à temps partiel que nous avons suivie pendant trois ans.

         A la sortie de Saint Maixent, en avant pour  la guerre d’Algérie !

      Il était évident que ce dénouement politique, au début imprévu, mais rapidement souhaité par beaucoup, changeait aussi notre donne : il nous posait de nombreuses questions sur notre avenir immédiat et sur notre carrière, pour autant que nous reviendrions vivants de la guerre d’Algérie.

       Le jour de notre « amphi-garnison », un charmant camarade de promotion, plus tard député et sénateur, m’annonça : « Renaud, le tirage au sort t’a désigné comme le mort de la promotion. »

          Robert Buron décrit dans ses notes les phases successives du processus de négociation avec le FLN, dont il fut un des premiers protagonistes, un processus qui prit beaucoup de temps, emprunta quelquefois des détours dignes d’un roman policier, mit beaucoup de temps (de 1958 à 1962) à déboucher dans une grande confusion sur un  résultat qui ne fut pas satisfaisant comme je l’ai écrit, dans son application concrète sur le terrain.

         Jean Pierre Renaud   –  Tous droits réservés