« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq- 2 – « Les voies étroites de la légitimité savante »

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

2

Les voies étroites de la légitimité savante

(c.1890-c.1930) (p,61- 84)

            A lire les pages consacrées à ce sujet, l’adjectif « étroites » parait tout à fait approprié, et j’y ajouterais volontiers l’autre adjectif de « peu convaincantes ».

           « La reconnaissance par les pairs de leur domaine de prédilection est la grande affaire des historiens coloniaux durant la période 1890-1930. Les spécialistes de la question déploient des efforts continus pour conquérir leur légitimité en dehors des sphères strictement coloniales et assurer à leur spécialité une place au sein  des instances savantes. Car si l’histoire des colonies a été laissée à des amateurs ou à quelques spécialistes en marge de l’université, c’est que longtemps, elle n’a pas permis d’envisager une  carrière au sein de l’Alma Mater. Or, à partir des années 1890-1900, ses promoteurs tentent d’occuper le terrain universitaire, de s’infiltrer dans diverses institutions – à la Sorbonne, à l’Ecole libre des Sciences politiques, aux Langues Orientales, à l’Ecole coloniale et dans ses classes préparatoires de lycée, et même au Collège de France » (p,61)

            Question : est-il possible chronologiquement, et compte tenu des situations coloniales de l’Afrique noire, de choisir comme point de départ l’année 1890 ? Je ne le pense pas.

           Plus loin, l’auteure intitule son texte :

         « Tisser les liens de la sociabilité politico-scientifique » (p,63)

         Puis, arrive au cœur du sujet :

       «  Des postes, des chaires, des institutions » (p,66)

      « … De la Sorbonne au Collège de France : au cœur du dispositif universitaire… (p,67)

        Oui, mais avec quels résultats, en comparaison du nombre de postes, de chaires dévolues aux autres disciplines historiques ? A la Sorbonne et dans les autres universités françaises ?

         L’auteure cite la création « politique » d’une chaire au Collège de France en 1921, alors que le Collège en comptait alors quarante, et y a recensé entre 1901 et 1939, 91 enseignants, dont sept d’entre eux avaient une relation avec le monde colonial, mais principalement celui de l’Afrique du nord.

          « … Dans le cas de la Sorbonne comme dans celui du Collège de France, l’introduction de l’histoire coloniale dans le saint des saints de l’Université s’est faite en force, avec toute la puissance de financement et de persuasion des milieux politico- coloniaux, et sans grand enthousiasme –c’est un euphémisme- de la part des prestigieuses institutions concernées. ..

          La prise plus ou moins durable des deux citadelles du Quartier Latin est cependant une étape importante dans la quête de légitimité de l’histoire coloniale en général, et indirectement de son sous-champ africain » (p,72)

             Un texte qui laisse un peu rêveur, compte tenu des expressions utilisées « en force », « sans grand enthousiasme – c’est un euphémisme – », « la prise plus ou moins durable des deux citadelles » 

         J’écrirais volontiers que l’histoire coloniale, en dépit de ces efforts, est restée à proprement parler un des « sous-champs » de l’histoire, et ce type de récit démontre, une fois de plus que contrairement à ce que certains chercheurs à la mode voudraient nous faire croire sur l’existence d’une France coloniale, elle n’avait pas beaucoup d’adeptes, même dans les universités.

        « Exister sur des scènes multiples » (p,72)

          L’auteure cite tout d’abord l’Ecole coloniale qui n’a véritablement existé qu’à la fin du siècle, mais dont on ne peut pas véritablement dire qu’elle a révolutionné la place de l’histoire coloniale, et les autres exemples cités non plus.

       « Une réussite en demi-teinte ? » (p80)

        Est-ce que l’appréciation ci-après répond à cet intitulé, ainsi que les textes qui suivent ?

      « La stratégie d’institutionnalisation et de légitimation savante s’avère en grande partie payante puisque dans les années 1930, le domaine dispose de revues, d’une chaire au Collège de France, d’un enseignement diffusé par de multiples canaux. Le temps est favorable à l’idée impériale et cette faveur rejaillit sur l’histoire qui rencontre une curiosité certaine, et donc des lecteurs potentiels. » (p,80)

       Une stratégie ? Vraiment ? Initiée par qui ?

      « Faveur » ? Alors que Lyautey, un des responsables de la grande exposition coloniale de 1931, déclarait qu’en définitive, elle n’avait pas changé grand-chose dans l’opinion publique ?

       D’autres «  initiés » semblaient partager cette analyse avec les termes que j’ai soulignés :

        « Mais si l’histoire coloniale semble avoir gagné une certaine reconnaissance scientifique dans les années 1920-1930, ce n’est pourtant pas le sentiment de ceux qui en sont les principaux protagonistes. Selon Georges Hardy dans Les éléments de l’histoire coloniale (1921), l’histoire des colonies souffre d’un statut subalterne : face à l’histoire de France, elle se trouve dans la même position périphérique que les colonies vis-à-vis de la métropole. Et Georges Hardy ne cesse de plaider pour l’existence autonome de l’histoire colonialece qui prouve que cela ne va guère de soi.

         Alors que la discipline historique s’est dans son ensemble professionnalisée, constituant une communauté formée dans les mêmes moules universitaires et se perçoit de façon idéalisée en position de coupure avec le monde civil – l’historien au-dessus des débats partisans -, l’ancrage de l’histoire coloniale dans le monde politique et dans celui des affaires lui confère une double image d’amateurisme et d’engagement militant. La dimension idéologique de l’histoire coloniale et ses liens consubstantiels avec le projet impérial lui valent la suspicion dans les milieux universitaires de l’époque de sa production. Comment concilier en effet ces deux exigences incompatibles : siéger dans les sphères éthérées de la Science et servir le projet impérial ? Or historiens et géographes coloniaux ne cessent de revendiquer la dimension utilitaire de leur spécialité» (p,81)

          Pourquoi ne pas retenir l’expression de « statut subalterne » accordé à l’histoire coloniale, en y ajoutant une des expressions utilisées plus loin, sa « relative marginalisation » ?

       « Enfin, la relative marginalisation  de l’histoire coloniale est à rapprocher de celle qui frappe la géographie coloniale à la même époque : elle tient pour une part au statut de l’histoire et de la géographie sous la III ème République. Ces deux disciplines occupent certes une place centrale dans la diffusion du message républicain et national, mais c’est la connaissance du passé et du territoire de la métropole qui importe avant tout : « Le monde colonial n’est pas oublié, mais se trouve dans une position seconde, une sorte de prolongement de la France au-delà des mers dont il importe de connaitre l’existence mais pas au même point que celle de la mère patrie » » (p,83)

          Une formulation gentillette, pour ne pas dire que la métropole, même dans ses instances reconnues comme scientifiques, n’était pas encore imprégnée d’une culture coloniale ou impériale, telles que les ont décrites certains chercheurs postcoloniaux atteints du mal bien connu et trop répandu d’anachronisme, ou de carence en méthodologie statistique, au point que les universités françaises aient alors considéré le domaine colonial comme un  domaine sérieux.

        Il ne s’agissait pas uniquement  dans le cas d’espèce de « tâtonnements épistémologiques » (p,84), mais du constat que les colonies comptaient en définitive assez peu dans la société lettrée de la Troisième République .

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale » Sophie Dulucq – Lecture critique I

« Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

I

Le moment colonial : une nouvelle donne historiographique autour de 1900 (p,29)

                            Comment ne pas remarquer que dès l’entrée, il s’agit bien d’une nouvelle donne historiographique, et non d’une nouvelle donne historique ?

                      Après avoir procédé à un rappel sommaire de quelques-uns des récits historiques antérieurs à 1900, «  L’invention du Soudan, de Léon l’Africain, à Heinrich Barth (milieu du XVIème siècle – milieu du XIXème siècle) », l’auteure ordonne son propos autour des concepts ci-après :

           « Nouveau contexte, nouveaux acteurs, nouveaux moyens : l’affirmation d’un champ scientifique en situation coloniale »

         « Une nouvelle configuration savante : quelle place pour l’histoire coloniale de l’Afrique » (p,37)

                   Sont décrits la complexité des relations entre disciplines, « la collusion entre cartographie et conquête coloniale est plus nette dans un premier temps… », le succès de la géographie coloniale : « La géographie coloniale bénéficie quant à elle d’une faveur publique grandissante et commence à investir les institutions du monde savant, tant à Paris qu’en province. »

             Plusieurs remarques : il ne faut pas perdre de vue qu’en 1900, en tout cas en Afrique noire française, c’est à peine si les colonisateurs commençaient à avoir une certaine connaissance de la géographie des lieux.

           « la collusion » : un mot étrange pour qui sait que toutes les « colonnes » militaires qui pénétraient pour la première fois dans ces territoires disposaient d’un officier topographe, faute de cartes géographiques.

         Ne s’agissait-il pas plutôt d’un nouvel acquis précieux pour l’Afrique ?

         Autre réflexion, il est évident que tout le travail de collecte d’informations nécessaires à la connaissance des milieux africains était indispensable à la bonne administration de ces territoires, un capital perdu pour les générations qui leur ont succédé ?

         « Faveur publique grandissante », cela reste à préciser, car les sociétés de géographie ne concernaient et ne touchaient qu’une petite éliteune toute petite élite.

        Les analyses faites posent d’ailleurs le même type de problème de mesure des phénomènes :

       « Cependant, au début de la IIIème République,  c’est l’ensemble de la discipline historique qui est en position conquérante ; elle se professionnalise tout en s’assurant une place de tout premier ordre dans les instances de l’Université comme dans les allées du pouvoir républicain… Les chaires se multiplient… » (p38)

       « A partir de 1890, les thèses d’histoire coloniale se font plus nombreuses, mais concernent encore quasi exclusivement les quatre « vieilles colonies… » (p40) 

        C’est effectivement tout le problème de la place de ce nouveau domaine « scientifique », à la fois dans les territoires coloniaux eux-mêmes, et au sein des universités françaises, alors que les institutions savantes crées par les autorités coloniales étaient de plus en plus nombreuses, entre autres pour la raison toute simple de leur intérêt pour une meilleure efficacité des administrations coloniales.

         C’est la raison pour laquelle il parait difficile de souscrire à nouveau au jugement de collusion qui suit :

      « Mais les exemples de collusion entre instances savantes et administrations en charge des questions coloniales sont également légion. » (p46)

       Il est tellement évident qu’il s’agissait moins d’une collusion que de la création de toutes pièces d’institutions savantes qui n’existaient pas avant la conquête et qui ont à la fois conservé un héritage culturel du passé et continué à emmagasiner de plus grandes connaissances sur tel ou tel territoire.

          Il parait tout de même difficile de tenir de tel propos « place de tout premier plan…les chaires se multiplient… les thèses plus nombreusessans donner la mesure statistique de cette évolution.

       Il s‘agit là d’une des critiques de base que j’ai faites à plusieurs reprises à l’encontre de certaines thèses postcoloniales qui souffraient d’une grave insuffisance de mesure statistique.

       L’auteure cite à plusieurs reprises le cas de l’Académie Malgache (créée par Gallieni), une institution qui a effectivement donné la possibilité d’une administration plus intelligente de la grande île, les critiques diraient du projet impérialiste de la France, mais en même temps, elle a conservé et transmis, en héritage,  un capital culturel  précieux.

      « L’exemple de l’Académie malgache (p,48)

       « L’Académie malgache est emblématique de l’intrication des intérêts sur le terrain, au carrefour du pouvoir et du savoir »

       Plus loin : «  L’Académie tire ses moyens de subsistance du pouvoir politique. »

       Observations : « intrication… du  pouvoir et du savoir », n’est-ce pas le plus souvent le cas ?

    « Moyens de subsistance » : j’aimerais savoir combien d’académies savantes de France ne tirent pas aujourd’hui encore leur subsistance du pouvoir politique.

    « Les chaires se multiplient » : au Collège de France ? Il y en avait quarante- trois dans les années 1900, et leur nombre  a été réduit à quarante en 1913.

       Il a fallu attendre l’année 1921, pour voir la création d’une chaire d’histoire coloniale au Collège de France, donc une sur quarante.

     Il serait donc utile de mieux éclairer ce type de débat en donnant très précisément la statistique chronologique des chaires d’histoire coloniale ouvertes dans les universités françaises  entre 1890 et 1960.

     « Interconnexions des réseaux et mélange des genres (p,51)

      Des historiens pour l’Empire : un idéal professionnel ambigu

      La remarque que fait l’auteure à la page 52 est tout à fait intéressante, et j’ajouterais volontiers emblématique de l’écart existant entre les appareils savants comparés, entre celui de l’histoire coloniale et ceux des autres histoires considérées alors comme « nobles », alors qu’elles découvraient le problème de leur indépendance scientifique, leur pertinence de neutralité :

     « Mais qu’ils officient sous les tropiques ou d’ans l’orbite des cercles coloniaux métropolitains, les érudits et les historiens professionnels intéressés par l’Afrique vont progressivement s’accorder autour d’un idéal professionnel : celui de l’historien au service de l’action impériale. La chose est d’autant plus remarquable qu’à peu près au même moment, les historiens métropolitains commençaient à défendre une conception de plus en plus neutre de leur discipline par rapport aux pouvoirs en place. » (p,52)

       Même type d’observation : pourquoi vouloir comparer des situations historiques fondamentalement différentes, c’est-à-dire inégales, en moyens, en types et niveaux de professionnels, et en chronologie, au risque de manquer de pertinence historique, alors que l’histoire coloniale faisait, et a toujours fait partie des universités de seconde division ?

       Rien de commun entre les sources africaines et les sources européennes, entre les acteurs des histoires respectives, et des appareils universitaires en concurrence ! 

      Quoi de comparable entre cette histoire des self made historiens et des historiens professionnels ! Hardy était une exception à cette époque, comme d’ailleurs Delafosse..

     « Enfin, comment affirmer en même temps  que l’histoire coloniale est un sous-champ de la discipline historique, tout en prétendant qu’elle est épistémologiquement fondée sur d’autres présupposés (et notamment sur le contact avec l’expérience coloniale. » (p,57)

      «  L’histoire écrite à la période coloniale constitue, à plus d’un titre, l’histoire d’une domination coloniale » (p,59)

        Mais alors, comment comprendre le sens de la conclusion de ce chapitre ?

        « La position des historiens coloniaux est-elle foncièrement différente de celle des spécialistes de la France qui, tout en proclamant un  idéal de scientificité désintéressée, se sont engagés dans la construction d’une histoire patriotique et républicaine ? On peut se demander si la mission  assignée à l’histoire coloniale par Gorges Hardy est si éloignée de celle que proposaient à la discipline historique dans les années 1870 un Gabriel Monod ou  Ernest Lavisse dans les années 1900. » (p,60)

      Tout à fait ! En observant que l’histoire coloniale ne devint un objet d’histoire qu’à la fin du siècle, que Lavisse n’a pas accordé beaucoup de pages à « l’empire français » dans ses manuels d’enseignement  primaire, et tout à la fin…avant les grandes vacances.

      En ce qui concerne la période moderne, et au moins autant, mais sans les mêmes excuses de scientificité, il convient de noter que le marxisme a imprégné un certain nombre de lectures historiques, pour ne pas citer enfin le courant des historiens humanitaristes, et quelquefois repentants de la génération actuelle.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

« Ecrire l’histoire à l’époque coloniale » Sophie Dulucq- Histoire ou historiographie?

 « Ecrire l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale »

Sophie Dulucq

Ou Ecrire « l’historiographie de l’histoire de l’Afrique à l’époque coloniale ? »

Premières pages de ma lecture critique

            Pour avoir beaucoup investi intellectuellement dans les recherches historiques sur la période coloniale française, et m’être posé beaucoup de questions sur la pertinence historique d’un certain  nombre de publications postcoloniales, j’ai naturellement entrepris la lecture du livre de Sophie Dulucq avec intérêt et curiosité, afin de savoir s’il était possible de procéder à un examen objectif de ce sujet trop souvent polémique.

            Pour simplifier provisoirement, et peut-être arbitrairement, le débat, il n’y aurait donc pas eu d’histoire coloniale sérieuse avant la décolonisation, c’est-à-dire avant que le postcolonial ne « surgisse », ou si elle a existé, qu’elle souffrirait de tels défauts et suspicions « scientifiques » qu’il ne s’agirait pas, à proprement parler, d’histoire, capable de rivaliser avec celle d’aujourd’hui ?

Introduction

               Nous proposerons tout au long des prochaines semaines notre lecture critique du livre de Sophie Dulucq, mais d’ores et déjà, évoquons quelques- unes des questions qu’elle pose, ou se pose, dans son introduction, avec une première série de questions en écho aux propos de A.E.Afigbo d’après lequel :

            « Ecrire l’histoire de l’Afrique ne se résume pas à intégrer du matériau africain dans l’étude des pratiques, de l’expansion et des réalisations d’une civilisation dont l’âme et le centre de gravité sont extérieurs au continent africain… », (partie de citation traduite par l’auteure, (p,8) :

          « Dans cette perspective, l’écriture de l’histoire de l’Afrique n’a donc pu être entreprise qu’avec la décolonisation. Les caractères méthodologiques pertinents censés caractériser cette historiographie authentique sont cependant fort variables : pour les uns, c’est l’utilisation systématique des sources orales qui ont fondé leur légitimité ; pour d’autres, c’est la dimension  afro-centrée du propos (étudier une société africaine pour elle-même, indépendamment des Européens) qui la garantit ; pour d’autres encore parmi les plus radicaux, c’est l’africanité des historiens qui pourrait seule assurer sa recevabilité. » (p,8)

           Il n’est pas superflu de savoir que M.A.E. Afigbo est originaire de la Nigeria du sud- est,  ancienne et puissante région côtière sous  domination anglaise, et qu’il y a assumé des fonctions politiques.

         « En souscrivant à ces visions, toute la production historique du début du XIXème siècle et de la période coloniale se trouve irrémédiablement disqualifiée, celle écrite durant la colonisation étant particulièrement mal perçue. » (p, 8)

          « …L’on se rend vite compte que faire démarrer l’écriture de l’histoire de l’Afrique dans les années 1950-1960 pose un certain nombre de problèmes et amène  totalement à simplifier l’historiographie antérieure… » (p, 9)

            « Disqualifiée » ? Pour ne pas dire à la nier, comparée à quel autre type d’histoire ? Celle des traditions orales, par exemple ? Celles des griots ? Celle des lettrés musulmans dans l’Afrique islamisée en surface ou en profondeur ?

           « La solution n’est donc pas d’isoler, parfois artificiellement, l’histoire écrite à la période coloniale (en décrétant que ce n’est pas de l’histoire de l’Afrique) ou bien de la considérer comme un  héritage inavouable » (p,14)

         « … Les faits sont têtus : la genèse de l’histoire de l’Afrique n’est pas malgré des affirmations réitérées, une immaculée conception datant des années 1950-1960. Elle a, par des ramifications lointaines,  partie liée avec l’expansion européenne dans le monde et avec, la domination impériale. » (p14)

        « Dans les années 1980, l’histoire coloniale disparaît à peu près complètement des préoccupations ; on en trouve mention dans quelques bilans historiographiques, mais de façon essentiellement négative ou allusive ». (p,18)

      Il serait évidemment intéressant de savoir pourquoi ?

        L’auteure définit très clairement les enjeux de son étude :

      « Position  de recherche

        « L’historiographie coloniale constitue donc un objet historique riche. Ni simple sous-produit d’une idéologie surannée et détestable, ni reflet fidèle de la science historique du moment, l’histoire écrite à la période coloniale est intéressante par son hybridité même. C’est sa nature composite qui permet de mieux saisir sa fonction dans le cadre global du projet impérial. Qu’elle ait été mobilisée pour justifier la domination européenne est une évidence, mais il est également vrai qu’elle a concouru à construire des connaissances. De même, elle a été partie prenante de constructions mémorielles encore mal évaluées.

          Mais il ne faut pas se leurrer. L’histoire méthodique qui triomphe en France à la fin du XIXème siècle possède elle aussi cette triple dimension idéologique, cognitive et mémorielle : elle contribue à accumuler méthodiquement, outils et savoirs pour une appréhension de plus en plus critique du passé, tout en s’attachant à (re)fonder la Nation autour du pacte républicain – au risque de devenir un véritable catéchisme au service du pouvoir et un authentique instrument du nationalisme revanchard – et à construire des « lieux de mémoire » nationaux… » (p21)

         « L’historiographie coloniale » comme je l’ai souligné, ou l’histoire coloniale en tant que telle ? « L’histoire méthodique », comme je l’ai souligné, est-ce si sûr ?              L’historienne en donne, à juste titre, les limites

         « L’histoire produite durant la colonisation doit pouvoir être étudiée avec le même détachement critique que l’ont été les manuels de Lavisse ou les écrits de Langlois et Seignebos. » (p,22)

        « Autrement dit, une des questions centrales sera de déterminer ce qu’il y a de proprement colonial dans l’histoire écrite à la période coloniale, et en particulier dans ce que l’on nommait alors l’« histoire indigène ». (p,25)

       « … Enfin, la question du rapport des Africains à l’historiographie coloniale devra être posée. Elle devra être envisagée autrement qu’en termes de simple confiscation. »(p,25)

          Question : comment remédier à l’absence d’une histoire écrite en dehors de la zone géographique du Sahel, et à la condition que l’on puisse faire confiance à celle des lettrés musulmans dans la zone islamisée ?

       « Outils et cadre de l’enquête (p,26)

       « … L’enquête se centre dans un premier temps sur les conditions concrètes de l’épanouissement d’une « histoire coloniale » de l’Afrique au début du XXème siècle. Elle met en évidence l’imbrication entre réseaux coloniaux et réseaux savants, la progressive affirmation des historiens des colonies et la patiente constitution de jalons institutionnels indispensables à l’essor du sous-champ disciplinaire : création de chaires universitaires, multiplication des revues et des publications, organisation des dépôts d’archives, appui matériel de l’administration coloniale à la collecte des sources documentaires. «  (p27)

        L’attention se concentre ensuite sur le contenu d’une production historiographique placée sous le signe d’une ambiguïté consubstantielle…

      Enfin de multiples recompositions ont accompagné la remise en cause de la colonisation à partir de 1945 : nouvelle configuration institutionnelle et historiographique, montée d’une génération d’historiens critiques de la colonisation, émergence d’auteurs issus des pays africains… (p,27)

         Nous verrons à la lecture si cet ouvrage nous donne la possibilité d’évaluer la place de l’histoire coloniale, notamment dans le monde savant et universitaire, en concurrence avec celle d’autres histoires consacrées à l’Antiquité, au Moyen Age, aux monarchies, ou aux Républiques

        Je souscris tout à fait  au positionnement d’analyse qui est annoncé, mais j’aimerais dire de façon plus prosaïque trois choses, pour revenir les pieds sur terre :

       – que dans toutes les premières opérations de conquêtes nouvelles de territoire en Afrique noire ou en Indochine, il y avait toujours dans le détachement un  officier qui procédait aux premiers relevés de cartes géographiques qui n’existaient évidemment pas,

     – qu’il conviendra toujours, dans l’analyse qui est proposée, d’avoir à l’esprit le fait que les historiens, qu’ils soient en Afrique, ou en Europe, ne jouaient pas dans la même catégorie de jeu, un sujet qui ne peut manquer d’être au centre de ce type d’analyse. A titre d’exemple, combien y-avait-il de « chaires universitaires » avant 1914 ou 1939 ? Et où ?

        – enfin que l’objet de recherches choisi est un challenge d’autant plus ambitieux qu’il concerne un continent immense, sauf à dire que le propos concerne avant tout l’A.O.F.

          Pourquoi ne pas conseiller, à ce sujet, de lire la seule introduction du livre « Afrique occidentale française » de Richard-Molard (1952) pour mesurer l’ampleur de la tâche, avec quelques-unes de ses remarques :

        « L’on n’évoque jamais une terre située entre les Tropiques sans songer premièrement au climat…. Mais pour l’A.O.F il faut aussi dès l’abord attirer l’attention sur cet autre trait : l’immensité… cette immensité se dilate encore démesurément si l’on songe que 16 millions d’habitants seulement y vivent… Un autre contraste éclate entre l’Europe et l’A.O.F. Là, le continent fait corps avec la mer… .Elle subit une anémiante continentalité… Tournée vers l’intérieur, l’A.O.F se heurte au plus grand et plus rigoureux désert du monde….

        Dans un continent que l’on a pu qualifier de « marginal » (Th.Monod)… » (p, XII, XIII, XIV)

         Dans le livre «  Les empires coloniaux », Pierre Singaravélou introduit le sujet par trois citations, dont la troisième est tout à fait intéressante, parce qu’elle pose à sa manière la difficulté d’écrire l’histoire, selon que l’on est lion  ou chasseur

        « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne pourront que chanter la gloire du chasseur »

      Proverbe nigérian.

      Sauf à faire observer 1) qu’il faut au moins deux conditions, qu’il y ait un chasseur et encore un lion, 2) que dans la tradition africaine les griots ne chantaient pas plus les exploits du chasseur que ceux du lion.

        Est-ce que l’histoire coloniale a jamais compté dans les universités françaises ?     A-t-elle jamais eu une place qui ait compté, en concurrence avec les autres disciplines des histoires considérées comme « nobles » ?

         Est-ce que le nouvel intérêt pour cette catégorie d’histoire, s’il existe,  n’est pas tout simplement  lié à la place de plus en plus importante qu’a prise la population  d’origine immigrée dans notre pays ?  Et juste avant, à la domination des historiens de mouvance marxiste en quête d’une démonstration des méfaits de l’impérialisme ?

         Et dans la foulée, la venue du courant des historiens qui, par mauvaise conscience, engagement politique, ou humanitarisme de bon ton, ont privilégié, plus que l’histoire dite « méthodique », les « envers » des histoires plus que les « endroits ».

          A lire l’excellent ouvrage de Pierre Vermeren, « Le choc des décolonisations », on ne peut qu’être surpris par le nombre d’intellectuels sortis de la matrice algérienne ou maghrébine.

Enfin quelques remarques :

        Lorsque l’on prend connaissance des sources citées par l’auteure, quelques constats sont frappants :   sauf erreur, l’auteure ne cite aucun récit de terrain, ou carnet de route datant des années de la conquête ou postérieure , c’est à dire les sources du « terrain ». L’essentiel de la bibliographie des sources constitue une historiographie des sujets traités.

     Ne s’agirait-il pas aussi d’une construction d’interprétation historiographique qu’il serait possible de déconstruire, sur le terrain historiographique ?

Dernière remarque ou conseil :

         Le lecteur me pardonnera, mais je lui conseillerais de faire comme moi, livre en main, une lecture au mot à mot, étant donné que nous avons l’ambition de nous projeter ou plonger, au choix, dans la lecture de l’histoire « méthodique ».

        Pour notre lecture, nous adopterons le plan suivant :

I – La lecture critique elle-même, chapitre par chapitre, c’est-à-dire :

1 Le moment colonial : une nouvelle donne historiographique autour de 1900, page 29

2 Les voies étroites de la légitimation savante (années 1890-1930), page 61

3 Sources et objets de l’histoire coloniale de l’Afrique : usage empirique et pratiques raisonnées (années 1890-1930), page 85

4 L’histoire coloniale en ses œuvres (années 1890-1930), page 119

5 Les Africains et la mise en récit du passé ( années 1890-1930), page 161

6 De l’essoufflement au renouveau (1930-1950), page 209

7 Chaînes de transmission et points de rupture : la charnière des indépendances ( années 1950- début des années 1960), page 257

Conclusion

II – Une synthèse de ma critique de fond

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Histoire ou politique? « Les têtes des résistants algériens… « Le Monde des 10 et 11 juillet 2016

Histoire ou politique ?

« Les têtes des résistants algériens n’ont rien à faire au Musée de l’homme »

Le Monde des 10 et et 11 juillet 2016, dans Débats & Analyses page 26
La signature :

 « Par COLLECTIF »  ( signatures de dix- neuf chercheurs ou intellectuels, dont dix historiens ou historiennes, avec la présence signalée de Mme Branche et de Messieurs Meynier et Stora))

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Quel est le but poursuivi par ces intellectuels dans l’ambiance de la France des années 2015 et 2016 ? Faire parler d’eux ?

Qui en France, découvrant cette situation des siècles passés, qui donne l’occasion à ces intellectuels de manifester à nouveau leur « passion de l’histoire », s’opposerait vraiment à cette restitution ? Comme de beaucoup d’autres non signalées ?

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            Ce texte qui rappelle un des épisodes sombres de la guerre de conquête de l’Algérie qui a duré près de cinquante ans, et il y en a eu beaucoup, est présenté sous un titre ambigu « Les têtes des résistants algériens » : les historiens signataires ne craignent-ils pas que certains de leurs lecteurs ou lectrices, ne mettent dans la même case historique des événements qui se situent les uns par rapport aux autres à plus d’un siècle et demi de distance ?

            L’histoire serait-elle à revisiter avec le concept de « résistance » des années 1939-1945 ?

            On ne fait sans doute pas mieux dans l’anachronisme.

            Les  auteurs de ce texte collectif se défendent à la fin de ce texte de vouloir « céder à un quelconque tropisme de « repentance » ou d’une supposée « guerre des mémoires, ce qui n’aurait aujourd’hui aucun sens. »

            Ils écrivent :

         « Il s’agit seulement de contribuer à sortir de l’oubli l’une des pages sombres de l’histoire de France, celles dont l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française »

            Je remercie les auteurs de cette proclamation d’avoir écrit « d’une supposée guerre des mémoires » dont un des signataires est l’un des plus ardents défenseurs : « supposée », oui, car elle n’a jamais été mesurée, en tout cas à ma connaissance, et en dépit de tous les sondages qui tombent chaque jour, sur n’importe quel sujet.

          « … l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française » ?

            Comment est-il possible de faire un  tel constat de corrélation entre la révolte de Zaatcha en 1849 et la France d’aujourd’hui, sauf à l’interpréter comme une énième tentative de manipulation politique ?

            Pour conclure provisoirement, je suis un peu surpris de voir autant de signatures qui ont ou qui ont eu, de près ou de loin, une relation avec l’Algérie, avec cette obsession de l’Algérie, qui à les lire, constituerait l’alpha et l’oméga de notre histoire.

            Les lecteurs les mieux informés connaissent bien l’efficacité médiatique de ces groupes d’intellectuels formés dans la matrice algérienne de l’anticolonialisme, notamment dans les colonnes du journal le Monde.

            La véritable question que pose une telle proclamation est celle du but poursuivi par ce collectif et par le journal Le Monde : s’agit-il, une fois de plus, et pour ce collectif, partie d’un « système » idéologique bien identifié, même s’il s’en défend, d’apporter une preuve datant d’un siècle et demi, afin de démontrer combien l’histoire de notre pays a été faite de noirceur, de violence et de crimes ?

            En misant peut-être sur le relais que les réseaux sociaux peuvent lui donner ?

          Si oui, il serait bien triste de voir un collectif d’intellectuels, dont beaucoup sont issus de la matrice algérienne citée plus haut, expliquer à nos jeunes enfants comment il est encore possible d’aimer la France, dans le contexte explosif du monde d’aujourd’hui, et des candidats au suicide de Daech.

            Ci-dessous le message que j’ai adressé au Courrier des lecteurs du Monde le 20 juillet dernier :

            « Bonjour, le collectif Blanchard and Co fait encore des siennes dans la nouvelle propagande postcoloniale, avec le concours d’un Stora, toujours en quête de médias, incapable jusqu’à présent d’avoir apporté la moindre preuve de sa « guerre des mémoires » 

        Toujours la matrice algérienne ! De l’histoire ou de la politique ?

        J’encourage vivement votre journal à organiser un concours international de têtes, à la condition toutefois de les situer historiquement et à chaque fois dans son contexte très précisément historique.

         Ce qui est sûr, c’est que ce genre de tribune pseudo-scientifique constitue un élément de plus de la contribution de ces belles âmes à la pacification des esprits dans le contexte historique « actuel » avec les décapitations de Daech, pour ne pas évoquer celles encore récentes d’Algérie ».

        Jean Pierre Renaud

            Post Scriptum : puis-ajouter que dans la liste des signataires figure un très honorable historien, Gilbert Meynier qui, avec le concours de M.Vidal-Nacquet fit un sort justifié au livre d’un autre signataire du même appel aux « crânes », Olivier La Cour Grandmaison, livre intitulé « Coloniser Exterminer » ?

        A lire cette analyse très fouillée sur le blog « Etudes Coloniales « du 10 mai 2006 !

       Un seul petit extrait :

       « A le lire, on ne peut s’empêcher de poser la question : un sottisier peut-il tenir lieu de réflexion et de synthèse historique » … « En histoire, il est dangereux de tout mélanger. »… « On ne s’étonnera pas qu’OLCG se voie probablement en historien d’une espèce en voie d’apparition, dont le manifeste inscrit son auteur « contre l’enfermement chronologique et disciplinaire (p,22 »

           « En fait, il surfe sur une vague médiatique, avec pour fonds de commerce des humains désemparés et peu portée à l’analyse critique, cela en fignolant un sottisier plus qu’il ne s’appuie sur les travaux d’historiens confirmés »

A ranger dans la catégorie des intellectuels fossoyeurs de notre histoire de France !