« Le Quai Branly exhume ses peintures des colonies » – Vous avez dit « Obscène » ? – Le Figaro du 8 février 2018

« Le Quai Branly exhume ses peintures des colonies »

 Le Figaro du 8 février 2018, page 28

De quoi s’agit-il ? De critique artistique ou d’histoire postcoloniale biaisée

Eric Bietry-Rivierre

&

Regard avec un air du temps toxique

Fausses fenêtres de l’art sur l’art

Vous avez dit « Obscène » ?

            Une présentation intéressante de cette exposition, mais entrelacée d’expressions et d’appréciations tout à fait caractéristiques de l’état actuel d’une certaine méconnaissance, sinon d’ignorance des mondes coloniaux, pour ne pas dire de l’histoire coloniale elle-même.

            Exemples :

            « Non loin, dans la Femme malgache à sa toilette, d’André Liotard, une  Noire essuie une Blanche au sortir d’un bain, prétexte à un saphisme racoleur et au rappel du pouvoir. »

Vraiment ? Une critique d’art pertinente ?

            Autres tableaux exposés …

         « Sans tabou »

            On jugera bien sûr obscène ce paternalisme de grand-papa. Autres temps, autres mœurs. »…

            « Obscène » ?  Est-ce que le mot a un sens ?

         « Par-delà quelques noms célèbres, Pierre Loti, Gauguin, son frère ennemi Emile Bernard en exil volontaire en Egypte renouvelant son inspiration en Polynésie ou André Maire et ses jungles oniriques semées de ruines fantastiques, ce sont  ces travaux de propagande qui frappent. Ils surprennent d’autant plus que leurs notices rappellent combien ils furent populaires…

          Cette redécouverte, nécessaire pour un juste rappel de l’histoire, s’avère passionnante  au niveau plastique… »

         A lire ces expressions, il est évident que l’auteur ne connait pas grand-chose dans cette histoire, y compris, et c’est plus grave, dans l’histoire des artistes de toute catégorie qui ont illustré, et souvent brillamment, les mondes coloniaux.

      « Cette redécouverte, nécessaire pour un juste rappel de l’histoire… » : est- ce bien le cas ?

       « Toutefois, ce sont les travaux plus explicites, ceux par exemple d’André Sureda, qui a été l’équivalent pour l’Algérie de ce que Majorelle fut pour le Maroc qui retiennent l’attention. Voilà une esthétique toute en lignes schématiques et aplats de couleurs franches qui accroche tant elle est simple. Elle a fait fortune dans les affiches ou la publicité type « Y’a bon Banania » (malheureusement non montrées). L’industrie touristique y a encore recours. De telles images, presque vieilles d’un siècle, réussissent encore à nous berner, au moins un moment, en préparant nos vacances.

         Face à cette efficacité, la commissaire Sarah Ligner ne cesse de prévenir que « présenter des œuvres sur une cimaise ne revient pas à approuver le propos qui le sous-tend », « Il faut regarder ces toiles sans nostalgie mais sans tabou non plus. », complète de son côté Stéphane Martin, président du Quai Branly. Nous goûtons les pays de cocagne d’un Brueghel, les paradis idylliques des classiques, les Mauresques de Delacroix. Et pourtant, nous savons qu’ils sont faux. Pourquoi ne pas considérer pareillement ces œuvres ? Juste s’en délecter en toute connaissance de cause, c’est-à-dire sans frilosité. »

        A lire ce type de jugement, il est difficile de s’y retrouver entre tabou ou pas, frilosité ou pas, compétence ou ignorance …

          En tout état de cause, sommes-nous encore dans la critique d’art ?

               Jean Pierre Renaud 

L’ART DE MANGER RITES ET TRADITIONS- Musée Dapper

« L’ART DE MANGER

RITES ET TRADITIONS »

Exposition du Musée Dapper

            J’écrirais volontiers, et comme à l’habitude, une exposition remarquable dans sa présentation et dans son contenu sur l’art de manger qui était pratiqué dans les sociétés traditionnelles de l’Océanie et de l’Afrique.

            La plaquette de présentation de cette exposition explique :

     «  La thématique de cette exposition s’attache à mettre en lumière des traditions, des savoirs et des actes qui se vivent au quotidien ou de façon exceptionnelle, lors de cérémonies et de rituels. Ainsi les aliments liquides ou solides, de même que les préparatifs liés à leur absorption ou les offrandes faites aux ancêtres, aux divinités et aux esprits, sont-ils indissociables d’objets particuliers dont les formes et les matériaux sont extrêmement divers. »

        Comment ne pas être saisi par la beauté de tous ces objets, mais aussi, et peut-être plus encore, de toutes les figures sculptées  qui ornent le parcours de l’exposition ?

       Comment également ne pas prendre conscience que toute la panoplie de l’art de manger qui est proposée baigne presque toujours dans une sorte de monde magique de créatures de l’au-delà, tout en notant  que beaucoup de ces objets appartenaient naturellement et le plus souvent aux chefs, aux nobles, aux membres des castes supérieures ?

       La même plaquette fait d’ailleurs preuve d’un certain courage pour enfreindre un des « tabous » que des groupes de pression politiques ou intellectuels font peser sur l’histoire de ces pays, je cite :

         « Il est une nourriture à laquelle seuls des individus initiés ou aguerris peuvent avoir accès. Dans plusieurs cultures océaniennes, la consommation de chair humaine apparait comme un privilège distinguant des personnes ou des groupes particuliers qui incorporent la force vitale d’autrui : un ancêtre, un esclave ou un ennemi. Des objets extrêmement divers sont liés aux rituels d’anthropophagie organisés à des moments de la vie des individus. Dans les îles Salomon (Mélanésie) où se pratiquait la chasse aux têtes, les guerriers qui partaient en expédition ornaient l’avant de leurs longues  pirogues d’une figure de proue représentant un esprit protecteur. Le musu musu tenait souvent entre ses mains une petite tête coupée »

       La lecture des premiers récits d’explorateurs, d’officiers, et d’administrateurs apporte la preuve que ce type de pratique, religieuse ou non, existait aussi dans un certain nombre de peuples d’Afrique, à la fin du dix-neuvième siècle.

Jean Pierre Renaud

Gustave Courbet, « Origine du monde », le journal Le Monde, et l’égalité des sexes

« GUSTAVE COURBET ET « CET OBSCUR OBJET DE DESIRS »

dans le journal Le Monde du 8 août 2014 en bas à gauche de la première page, dans un petit encadré un sexe de femme, et dans un gros encadré d’un quart de page 9 :

« L’unique « Origine du monde »

« A Ornans, une exposition réunit autour de la toile de Courbet, des œuvres évoquant le sexe féminin »

            Le lecteur est invité à prendre la route avec le journal Le Monde, vers le sexe fort et vers le sexe faible ? Ou vers la paillardise ?

           Demain, un beau sexe d’homme aux mêmes pages en hommage à l’égalité des sexes ?

            Il est possible d’admirer les œuvres de Courbet et d’apprécier diversement la mise en page du journal Le Monde.

           Je suis sûr que le journal Le Monde aura à cœur  de publier dans un prochain numéro l’image d’un beau sexe d’homme et d’apporter ainsi sa contribution au bel idéal de l’égalité des sexes.

          Le journal en a ajouté une couche dans son supplément TELEVISIONS de la semaine, avec en première page, une reproduction de ce qui ressemblerait en cours de sciences naturelles à une « pomme-clitoridienne », ou à un gros « physalis », et en troisième page, un grand croquis d’une demi-page de femme en position affriolante…

        Au journal Le Monde, on n’arrête décidemment pas le progrès ! Un coup de com’ salace pour faire « bander le « tirage » ?

         « Coup de chaud » au Monde !

      Jean Pierre Renaud

      Post scriptum : par décence, ce texte est publié après le 15 août !

« Angkor, naissance d’un mythe » au musée Guimet

« Angkor, naissance d’un mythe »

Une très belle exposition artistique et historique.

            Naissance d’un mythe, je ne sais pas, mais découverte d’une des merveilles de l’art, de l’architecture, de la sculpture et de la civilisation khmère ancienne, sûrement ! C’est-à-dire du Cambodge !

            Pourquoi une telle exposition ne donnerait-elle pas aussi l’occasion, à ceux qui aiment se pencher sur les relations entretenues par l’Occident avec l’Orient, et tenter de les interpréter dans un sens différent de celui qui parait être souvent défendu de nos jours par certains chercheurs, c’est-à-dire celui d’une construction mentale, artificielle, d’un  Orient qui n’aurait existé que dans l’esprit de l’Occident, de proposer une explication plus simple, celle d’une curiosité occidentale qui s’est mise au service du passé des pays d’Asie ?

            Que dire sur le même sujet de la présentation du temple d’Angkor Vat à l’Exposition coloniale de 1931 ? Exaltation d’un empire colonial ou exaltation du grand passé du peuple khmer ?

            Et de redécouvrir la cohorte d’officiers de la marine française, les Pâris, Mage, Dumont d’Urville, Delaporte, Garnier, de Lagrenée, ou Loti… dont la curiosité a fait découvrir aux Français d’autres mondes, et y susciter le goût de l’exotisme, plus que celui de la colonisation.

            Le lieu de ma naissance me fait l’obligation morale aussi de rappeler qu’Henri Mouhot, le premier découvreur du site d’Angkor, n’était pas officier de marine, mais simple  explorateur d’un pays où il est mort de fatigue et de maladie.

MCRV – JPR

Humeur Tique: Exit l’exposition Albert Camus à Aix en Provence! Avec les bienheureux Stora et Onfray, sic transit gloria mundi!

Pour beaucoup de ses lecteurs, qui ignoraient l’existence même du projet d’une exposition Camus à Aix en Provence, et pour lesquels Albert Camus fut une source de lumière, de révolte et de sagesse, ce dernier méritait  incontestablement mieux que de voir l’organisation de cette manifestation confiée à un historien, très ou trop engagé, sur le terrain politique, et à un philosophe, très ou trop engagé, sur le terrain médiatique.

            La France était si pauvre en excellents professeurs d’université restés à l’écart du tumulte politique ou médiatique ?

Vaudou: art, culture, religion, exotisme… une exposition de la fondation Cartier

Art, culture, religion, exotisme …?

VAUDOU : une exposition de la Fondation  Cartier pour l’art contemporain (5 avril – 25 septembre)

            Une certaine hésitation à aller voir cette exposition, et une certaine perplexité, pour ne pas dire, perplexité certaine, après l’avoir visitée.

            S’agit-il de beauté, d’art ? Ou d’objets étranges, de témoignages du culte vaudou, offrandes votives ou avatars des devins, des sorciers, des prêtres, des prêtresses vaudou, ou du dieu Legba ?

            Un mélange de croyances spirituelles et temporelles, de rites et de médecines traditionnelles,  qu’un européen a encore de la peine à comprendre.

            Que dire de cet alignement de « bocios », petits objets de culte, de divination, de sorcellerie, d’envoûtement,  couturés, ligotés, emmaillotés, cloués, transpercés ? Porteurs du bien et du mal ?

            Des objets plus étranges que beaux ! Et alignés en rang, comme dans une cour de caserne !

            Les Français ont sans doute de la peine à imaginer que quelquefois, dans leur entourage, des voisins prient leur « bocio » pour obtenir bonheur ou santé,  ou pour chasser le mauvais sort d’un ennemi, même s’ils ne doutent pas que d’autres, dits de bonne souche, ont le même type de croyances, ou de superstition, c’est selon.

            Toujours est-il que le véritable intérêt de cette exposition est moins l’art qu’elle est censée représenter que le témoignage d’une culture des côtes d’Afrique qui a vraisemblablement retrouvé de la couleur grâce au tourisme et aux nouvelles peurs du monde moderne.

Enfin, on peut s’interroger sur la référence choisie par l’exposition, celle d’une citation d’Hampâté Bâ :

« Salut à celui qui vient dénouer l’énigme des enlacements.

Chaque fois qu’on défait un nœud, on sort un Dieu. »

Le nœud qu’évoque le grand intellectuel et croyant africain n’est pas obligatoirement celui des « bocios ».

Jean Pierre Renaud

L’Exposition « Angola Figures de pouvoir » au musée Dapper

« Angola Figures de pouvoir »

Musée Dapper à Paris

Une belle exposition à voir

            Une fois de plus, le musée Dapper nous donne à voir de magnifiques sculptures et objets, issus des civilisations africaines, ici essentiellement celle des Chokwe.

            Au XVème siècle, les Portugais entrèrent en contact, pour le commerce, avec le puissant royaume Chokwe situé au sud du fleuve Congo, et la traite négrière, puis la colonisation portugaise affaiblirent et perturbèrent gravement cette civilisation, pour ne pas dire plus.

            Les sculptures et les objets présentés en disent long sur la qualité de cette culture, sculptures et objets qui s’inscrivaient à la fois dans le pouvoir politique et dans le pouvoir religieux, notamment celui des ancêtres.

            Et c’est sans doute cette caractéristique qui nous donne l’image la plus étrange de leurs croyances, notamment le rôle important des objets culturels appelés « minkisi » ou « nkisi » : d’après la notice du musée, « les minkisi constituent des outils, des moyens activés par le nganga, l’officiant, pour interagir sur les mondes spirituel et physique auxquels appartiennent toutes les créatures vivantes. »

            A la fois donc une incomparable beauté de beaucoup de sujets et d’objets, et en même temps, à travers les figures et objets à but magique, une interrogation sur ce monde africain ignoré de beaucoup, alors qu’il nous est de plus en plus proche en France.

Jean Pierre Renaud

Exposition « Tous les bateaux du monde » au Musée National de la Marine

Une exposition formidable à voir au Musée de la Marine ! Jusqu’au 19 septembre 2010

« Tous les bateaux du monde »

La fabuleuse collection de l’amiral Pâris

            La présentation de l’exposition est d’un niveau exceptionnel : tout est d’une très grande qualité, textes, images et maquettes.

            C’est un marin aussi bien qu’un homme exceptionnel qui a rendu possible une telle exposition, l’amiral Pâris. Un officier de marine curieux de tout, comme il en exista tout au long du XIXème siècle, capable de faire trois tours du monde sur l’Astrolabe, la Favorite et l’Artemise, entre 1824 et 1840, de tout noter, tout dessiner, et de laisser un riche héritage sur les cultures marines de tous les continents et sur une ethnographie nautique mondiale dont il fut l’initiateur.

            Alors, on n’effectuait pas encore le Tour du Monde en 80 jours !

            Un trésor de plans, d’images, de croquis, d’aquarelles, et de maquettes.

            Mais derrière les bateaux, les hommes, les architectes et les marins des côtes d’Océanie, des Amériques, d’Asie, ou d’Afrique, avec toujours le même message, une égale intelligence humaine pour affronter la mer.

            Et comment ne pas oublier que la marine française compta dans ses rangs un nombre important d’officiers explorateurs et découvreurs de terres nouvelles, tout au long du XIXème siècle.

Exposition « La Fabrique des images » Musée du Quai Branly-16/02/2010 -17/07/2010-Notes de visite

Exposition « La Fabrique des images »

Chers amis, allez-y ! Mais dès l’entrée de ce beau musée, ne vous trompez pas de chemin !

             Une première affiche sollicite en effet votre attention de « chaland » intitulée, « Sexe, mort et sacrifice », et il faut donc aller un peu plus loin, pour trouver le bon chemin, le bon panneau de l’exposition.

            Une exposition très intéressante sur la variété des images, leur beauté,  leur étrangeté aussi, et leur signification supposée, venant de nombreuses civilisations de notre monde actuel ou passé.

            Laissez vous séduire par ces images, même s’il n’est pas toujours aisé de suivre les distinctions savantes de l’anthropologue qui a conçu cette exposition, entre les quatre visions du monde, animée, objective, subdivisée, et enchevêtrée !

            En ce qui nous concerne, mon épouse et moi,  il nous a semblé plus facile de distinguer deux formes d’expression culturelle, la première, s’inscrivant dans la continuité et la fusion des mondes de la nature animée et inanimée, du monde surnaturel et naturel, du monde animal, végétal, ou humain, et la deuxième, prenant ses distances avec ces mondes toujours étranges, une vision objective supposée.

            Le titre lui-même de l’exposition, avec le concept de « fabrique » suscite des interrogations : fabrique matérielle ou fabrique spirituelle, c’est-à-dire expression d’une certaine conception du monde, mais alors, il s’agit d’interprétations sujettes effectivement à beaucoup de questions. Et quelquefois tout autant quant au mélange des chronologies.

 Le 3 avril 2010