Supercherie coloniale ou Culture coloniale ou impériale made in Blanchard

« Supercherie coloniale »

(2008)

Avec Jean Pierre Renaud

 Ou

« Culture coloniale », culture impériale … » » avec Pascal Blanchard et l’Achac ?

Il y a presque quatorze ans déjà !

Réponse d’un grand éditeur en date du 5 juillet 2007 : une pièce à conviction sur les choix d’édition entre éditeurs !

Comme je l’ai déjà écrit à maintes reprises sur le blog, le livre en question mettait en pièces, pièce par pièce, le discours idéologique et littéraire de l’équipe Blanchard, un discours pseudo-historique frappé d’une carence notoire de démonstration statistique et quantitative.

« Lettre du 5 juillet 2007

« ConcerneSupercherie coloniale,

Cher Monsieur,

Je vous remercie vivement de vos deux textes.

Je les ai appréciés à leur juste valeur et me sens bien entendu, sur la même longueur d’onde que vous. Mais pour vous dire la vérité, je n’ai aucune envie de me lancer ou de laisser…. se lancer dans une polémique directe avec des auteurs nommés (et dont un a même été publié dans la Maison !).

Votre « avant-scène post-coloniale m’a par ailleurs bien amusé.

J’espère que vous trouverez un autre éditeur et vous assure, cher Monsieur, de tous mes sentiments les meilleurs. »

&

Concrètement, je n’ai pas trouvé d’éditeur de la place courageux, alors que d’autres éditeurs surfaient sur ces courants d’histoire repentante, idéologique, ou marketing, comme vient de le relever Pierre-André Taguieff, dans un livre que j’ai cité sur le blog.

J’ai fait appel à un petit éditeur amateur et grand défenseur d’une histoire coloniale non frelatée.

Ce type d’histoire marketing marche tellement bien que Pascal Blanchard, par son entremise, vient de se voir propulser dans un des nombreux conseils du Président actuel.

Dernière anecdote tout à fait symbolique : le livre que j’avais envoyé en deux exemplaires à la Mairie de Paris (Maire Delanoë) pour la Bibliothèque Municipale s’est retrouvé en vente dans une solderie…

Je publie donc à nouveau ci-après le passage du livre cité ci-dessus par mon correspondant.

« Supercherie  Coloniale »

Jean Pierre Renaud

Mémoires d’Hommes 2008

Pages 13 à 16

« En avant-scène postcoloniale
Et, sur les pas du célèbre Montesquieu,
Comment peut-on être Malgache
à Paris au XXIe siècle ?

  De Jérôme Harivel, Cité Universitaire Internationale, à Paris, à sa chère et tendre Vola, restée à Faravohitra, à Antatananarivo,

     Octobre 2001 – Comme tu le sais, à l’occasion du match. Algérie-France, dans ce magnifique stade deFrance, (quand en aurons-nous un aussi beau dans notre belle capitale ?) une partie du public a sifflé l’hymne national des Français. Tu vois le scandale ! Je n’y étais pas, car tu connais l’amour très modéré que je porte au sport. Cela m’a beaucoup étonné, moi qui croyais que l’Algérie était indépendante depuis 1962. La France était-elle devenue, à son tour, la colonie de l’Algérie ?

    Septembre 2003 –- Des amis français m’avaient convié à une soirée à la campagne, une campagne toute verte comme tu l’aimerais, près du Mans. A un moment donné, un des convives se mit à évoquer des livres récents qui traitaient de l’histoire coloniale de la France. Tu sais que les Français ne s’y intéressent pas beaucoup, mis à part la guerre d’Algérie, qui a laissé des traces profondes dans beaucoupde familles françaises.

      Je ne m’estimais pas vraiment concernélorsque j’entendis ce convive parler de bain colonial, et aussitôt je fis une association d’idées avec notre grande fête du bain de la Reine, notre fandroana mais il ne s’agissait pas de cela. C’était bien dommage, car la cérémonie du bain revêtait une grande importance dans notre monarchie. Beaucoup de faste, une grande foule, le bain de Ranavalona III derrière le rideau rougela couleur sacrée, avec ce petit grain de folie religieuse qui mettait du sel dans le rituel sacré du bain, l’aspersion de la foule venue entendre le kabary de la reine et assister à son bain caché, avec l’eau qui avait servie au bain de la reine, une eau naturellement sacrée. Une lointaine parenté sans doute avec l’eau bénite, sans vouloir blasphémer le rite catholique !

     Février 2005 – Un de mes bons amis malgaches m’a entraîné auForum des Images de la Ville de Paris pour assister à une des séances du festival des films coloniaux qui y avait lieu.

    Deux personnes commentaient ces documents, un belge, je crois, et un universitaire africain dont j’ignorais le nom. Pour nous mettre sans doute dans l’ambiance idéologique de cette séance, le présentateur belge avait distribué une note de présentation dans laquelle il énonçait quelques fortes vérités, je cite :

      « C’est au nom de la légitimité coloniale que l’on filme les femmes au torse nu… c’est la relation d’assujettissement du colonisé au colon. C’est la violence légale. naturelle de l’ordre colonial qui apparaît lorsque l’on regarde ces images… on perçoit régulièrement les signes d’un déni d’humanité accordé à l’indigène dont le filmeur (sic) d’alors n’avait pas conscience ».

      On nous a projeté plusieurs films d’amateurs de qualité tout à fait inégale. L’un d’entre eux a attiré mon attention, parce qu’il avait été tourné chez nous, par un Vazaha (un Blanc) sans doute riche, car il le fallait pour disposer d’une caméra. A un moment donné, onvoyait une femme blanche assise dans un filanzana, notre fameuse chaise à porteurs. portée donc par quatre bourjanes, et le commentateur de souligner doctement, et une fois de plus, que cette image était un autre symbole du colonialisme en action.

     A la fin de la projection, un Vazaha s’est levé et a pris la parole pour expliquer à la salle que tous les gens riches de Madagascar, nobles, hauts fonctionnaires militaires ou civils, marchands fortunés recouraient habituellement à ce mode de transport à une époque où il n’y avait aucune route dans l’île, et donc aucun véhicule à roues. Je me suis bien gardé d’intervenir, mais l’échange m’a bien amusé.

     Que dire encore à ce sujet sur les pousse-pousse qui existent encore en Asie et sur notre belle île !

    Mai 2005 – Un grand débat agite les médias et le microcosme politique, sur l’esclavage et le rôle positif de la colonisation française. Des députés, toutes tendances confondues, de droite et de gauche, ont eu la foutue bonne idée de faire reconnaître par la loi le rôle positif de la colonisation. Grand chahut chez les historiens et au sein des associations qui ont l’ambition de défendre la cause des populations immigrées. notamment de celles qui ont publié un appel d’après lequel, leurs ressortissants seraient les Indigènes de la république.

     Prudence de notre côté étant donné le passé de notre grande île et de l’abolition relativement récente de notre esclavage. Certains de nos lettrés ne disent-ils pas que les descendants des andevos, nos anciens esclaves, portent encore dans leur tête leur passé d’esclave, avec la complicité des descendants de leurs anciens propriétaires d’esclaves. Nous sommes d’ailleurs bien placés à Madagascar pour savoir que la traite des esclaves s’est prolongée longtemps en Afrique de l’Est, dans l’Océan Indien, et dans le Golfe Persique, avec les traditionnels trafics arabes d’esclaves.

     Je te signale d’ailleurs qu’une historienne de La Réunion prend des positions hardies dans ce difficile débat.

     Je recommanderais volontiers la même prudence aux descendants des grands royaumes négriers de l’Afrique du Centre et de l’Ouest.

     Novembre 2005 – En France, la mode est aujourd’hui à la repentance. Les Français adorent ça et se complaisent dans leurs défaites militaires qu’ils célèbrent avec une joie masochiste. Le président Bouteflika somme la France de se repentir, alors que la guerre d’Algérie a été un affrontement de violences des deux côtés, et que l’Algérie indépendante sort à peine d’une guerre civile cruelle.

      Dans toutecette affaire, plus personne ne comprend plus rien à rien, entre ce qui relève de la mémoire et ce qui relève de l’histoire ! Je me demande si certains historiens ne s’intéressent pas plus à la mémoire qu’à l’histoire.

     Octobre 2006 – Tuvois, l’Algérie est toujours au cœurdu problème français, et certains historiens ont du mal à travailler sur l’histoire coloniale sans être obsédés par l’Algérie, toujours l’Algérie, qui parait d’ailleurs de plus en plus présente en France, plus de quarante ans après son indépendance. Un politologue, d’une espèce difficile à définir, a commis un livre, ou plutôt un crime contre la raison, en énonçant le postulat qui voudrait que coloniser, c’est exterminer, et bien sûr en raisonnant sur l’Algérie. Ce politologue s’est fait ramasser dans les grandes largeurs par deux éminents historiens de l’Algérie.

     Ce mois-ci, Blois a accueilli le 9ème Rendez-vous de l’Histoire. A l’occasion d’un Café Littéraire, tu te souviens du rôle des cafés dans l’histoire littéraire parisienne, un dialogue musclé s’est engagé entre le principal prosélyte d’une nouvelle histoire coloniale et l’auteur d’un livre intitulé Pour en finir avec la repentance coloniale, précisément dans le cas de l’Algérie. Le prosélyte de lui lancer : « Vous êtes un historien révisionniste, ça vous fait fliper » (sic)(1). Je me serais bien gardé d’intervenir dans ce débat : il n’y a pas si longtemps, notre grand Amiral marxiste. Dictateur et chef de l’État, aurait brandi aussi facilement ce type d’accusation. »

  1. Il s’agissait de Pascal Blanchard

Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? L’ACHAC/BDM

L’ACHAC/BDM, fausse ou vraie sirène postcoloniale ?

Le moteur d’une subversion postcoloniale.

            A l’occasion de mes recherches historiques sur la thèse pseudo-historique que défendait le collectif de l’Achac, sous la baguette du chef d’orchestre Pascal Blanchard, sur une « culture coloniale » dans laquelle la France métropolitaine aurait « baigné » sous la Troisième, puis Quatrième République, j’avais trouvé que le monde universitaire avait fait preuve d’une grande prudence, ou de discrétion sur le sujet, en ne proposant pas d’analyse entre le vrai et le faux de ce discours : à la lecture des extraits de trois sources de critique historique d’origine universitaire, le lecteur constatera qu’il n’en fut heureusement pas toujours ainsi, sans doute par ignorance de ma part..

            Sont cités :

           – un article de Laurence de Cock, sur « Le rôle de l’Achac »,

           – un article de Vincent Chambarlhac dans Cairn Info « Fragments du jeu académique postcolonial. (A propos d’un collectif, l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine).

         – un article de Camille Trabendi (pseudonyme) dans la Revue Agone n°41/42- 2009 « Sur la fonction de deuxième ou de troisième couteau (de poche) » (p,165 à 194).

          Comme annoncé sur ce blog, le 4 avril 2018, il s’agit du troisième mouvement du chemin intellectuel de réflexion proposé.

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Le rôle de l’Achac/BDM dans le fonctionnement et le développement du modèle de propagande Blanchard and Co

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Source : « La production officielle des différences culturelles » (automne 2017)

« L’Achac et la transmission du passé colonial : stratégies entrepreneuriales et culturalisation de la question immigrée dans la mémoire nationale » (p,105 à 121)

Par Laurence De Cock

ACHAC ou ACHAC/BDM ?

Le 23 janvier dernier, j’avais annoncé sur ce blog mon projet de publication de l’analyse de cette contribution, compte tenu de son intérêt pour comprendre ce que fut la création de cette association pseudo-mémorielle ou pseudo-historique, ce qu’elle est devenue, comment elle fonctionne : une nouvelle entreprise, un nouveau marché, une nouvelle forme de propagande postcoloniale.

            A cette occasion, le lecteur pourra se rendre compte, qu’avec l’ACHAC/BDM, l’histoire postcoloniale était alors entrée dans un monde de falsification et de manipulation, en partant d’une interprétation tendancieuse des sources d’images disponibles au Colloque savant « Images et Colonies » de janvier 1993, dans un but à la fois médiatique, commercial, et politique, puis dans le livre « Images et Colonies ».

            Beaucoup de lecteurs diront sans doute, et à juste titre, ça n’est pas la première fois dans l’histoire des histoires, en France ou ailleurs !

            Je rappellerai plus loin l’essentiel des critiques de fond que j’ai portées en 2008, dans le livre « Supercherie coloniale » sur la thèse idéologique qu’ils défendent et font prospérer.

            « … L’Achac a réussi à se bâtir une position d’incontournable pivot à la fois dans la détermination du diagnostic et de la prestation de services en direction de différentes institutions et collectivités territoriales… (p,105)

            La transmission de l’histoire coloniale est au cœur de sa démarche. Ce faisant, l’Achac nourrit la corrélation entre la connaissance du passé colonial et le traitement du « problème » de l’immigration dans la société. L’angle proposé par l’Achac relève d’une sorte de thérapie mémorielle et repose sur l’idée qu’une meilleure transmission du passé colonial apaiserait la société en retraçant l’origine du racisme et en contribuant à une politique de la reconnaissance des populations héritières de l’immigration coloniale et postcoloniale. Leur propos est fondé sur le postulat de la mise en place d’une « culture coloniale » uniquement définie par le prisme des représentations des colonisés par les colonisateurs qu’ils  appréhendent par l’inventaire et l’analyse des sources de propagande dont se dégage une multitude de stéréotypes coloniaux…

            En ce sens, la stratégie de l’Achac participe d’une culturalisation de la question immigrée avec ceci de particulier que, par sa configuration, les acteurs qui y sont impliqués, ainsi que les actions mises en place, elle ajoute une dimension entrepreneuriale tendant à faire du passé colonial un véritable marché. C’est cet aspect que nous nous proposons d’interroger ici en retraçant la trajectoire de l’un de ses fondateurs, Pascal Blanchard, aujourd’hui responsable de l’Achac, ainsi que la stratégie de l’association, s’apparentant à un marketing du passé pour lequel la catégorisation culturelle constitue un argument-clé. Ainsi, la démarche de l’Achac introduit une nouvelle coordonnée dans les usages sociaux du passé et de la mémoire qui jusque-là privilégiaient les circuits associatifs, familiaux ou politiques sans que n’intervienne de façon si ostensible la question de la rentabilité. « (p,105,106)

Commentaire :j’ai souligné les quelques mots qui suffiraient déjà à caractériser cette entreprise bâtie sur une mémoire ou une histoire tronquée et fictive, animée par un business mémoriel de nature  idéologique.

          Fictive parce qu’elle n’est pas fondée sur le passé colonial, pas plus que sur une mémoire coloniale jamais mesurée, fictive étant donné la carence qui a affecté le dénombrement des vecteurs d’une culture coloniale qui aurait pu exister dans la population française et de ses effets dans leur contexte historique.

          Au Colloque savant « Images et Colonies » de 1993, il ne s’agissait pas du passé colonial de la France, mais d’une collection d’images des mondes coloniaux, c’est-à-dire d’une certaine image métropolitaine de ces mondes coloniaux.

          Ajoutons pour l’instant qu’à ce Colloque, la sémiologie fut étrangement aux abonnés absents !

            Les extraits ci-dessus suffiraient déjà à circonscrire les enjeux historiques des « entreprises » de l’Achac, mais pourquoi ne pas aller plus loin dans cette analyse fort instructive ?

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« A l’origine de l’Achac, un entrepreneur bâtisseur : Pascal Blanchard » (p,106)

            Le 15 janvier 2010, l’auteure a eu un entretien de 2 heures 30 avec l’entrepreneur bâtisseur, « Pascal Blanchard est un bâtisseur, du moins c’est ainsi qu’il se présente ».

            « Pascal Blanchard fait des études d’histoire à la Sorbonne où il se lance dans une thèse (que j’ai consultée) sous la direction de l’historien africaniste Jean Devisse. Il y rencontre plusieurs étudiants également inscrits avec ce directeur de thèse, dont Nicolas Bancel. Jean Devisse prévient ses doctorants qu’ils auront à batailler dur pour se faire accepter dans un champ académique peu ouvert aux recherches sur la colonisation. La thèse de Pascal Blanchard étudie les mutations du colonialisme dans le discours de la droite nationaliste des années 1930 au régime de Vichy en analysant la presse de l’époque. (centrée sur celle du Sud Est, avec un sondage énigmatique).Entre temps, lui et ses amis étudiants fondent une association en parallèle du travail conventionnel des séminaires et laboratoires de recherche :

            « Voilà c’était un raisonnement qu’était très simple, c’est-à-dire soit on continue à pleurer comme font tous les africanistes le cul posé sur leurs chaises en disant « personne nous lit, personne ne s’intéresse à nos travaux, soit on fait l’inverse : comment on peut amener les gens à nos travaux » (p,107)

            …c’est l’imaginaire avec ce passé colonial qui dominait et qui faisait blocage… La narration de la genèse de l’association et de ses premiers travaux épouse une rhétorique de management : « Il fallait travailler l’opinion », nous indique-t-il. » (p,108)

            Une équipe se constitue avec Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire et Emmanuelle Collignon. Elles ne figuraient ni  l’une, ni l’autre pas dans la liste des participants au Colloque de 1993.

          «  Le travail de l’équipe s’effectue dans plusieurs lieux et selon plusieurs modalités qu’il convient de décrire pour comprendre les formes et l’ampleur de la conquête du marché. » (p,108)

Commentaire

           Accordons notre attention aux deux phrases qui paraissent bien poser les termes de la problématique postcoloniale proposée : « c’est l’imaginaire avec ce passé colonial qui dominait et faisait blocage… Il fallait travailler l’opinion…).

        Le collectif en question n’a jamais apporté aucune preuve du premier constat, et en a tiré la conclusion qu’il fallait aller sur le « marché » médiatique, auquel j’ajouterais les qualificatifs de politique et d’électoral, compte tenu des poussées d’immigration qui ont modifié notre démographie depuis une quarantaine d’années, et de leur incidence électorale.

         Je proposerais volontiers quelques sujets de thèse de doctorat d’histoire, de sociologie, de sémiologie, ou de statistiques, tels que : analyse du thème colonial dans la presse  métropolitaine pendant toute la période coloniale, une analyse statistique qui n’a jamais été effectuée – analyse sémiologique et statistique des images qui ont servi à bâtir la « source historique » du collectif –  état comparé des forces universitaires métropolitaines dédiées à l’histoire ou à la sociologie coloniale et des forces universitaires dédiées à l’histoire ou la sociologie de France ou d’Europe, avec les effectifs comparés des normaliens concernés par période et par discipline : une des questions que pose l’étude de Sophie Dulucq pour l’écriture de l’histoire coloniale.

Pourquoi ne pas constater à nouveau que les colonies n’intéressaient pas les Français, pas plus que le monde universitaire, et que le succès de ce collectif s’est nourri des épisodes migratoires que notre pays a connu ?

          Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? L’ACHAC/BDM

« Multipositionnalité de l’Achac » (p,109)

         « De fait, l’Achac a immédiatement orienté ses travaux vers des activités variées, savantes et profanes : séminaires, colloques, expositions, débats et publications. Très rapidement, les tribunes médiatiques font partie de la stratégie de visibilité, de même que les publications demi-savantes et les rencontres débats qui regroupent experts et citoyens, sorte de « forums hybrides » c’est-à-dire des lieux destinés à accueillir des débats et à distribuer la parole entre spécialistes et non-spécialistes afin de démocratiser les savoirs et surtout sortir de situations de crise. »

        L’auteure propose alors une description du réseau médiatique constitué par l’Achac.

       « … A partir de 2007-2008, l’association s’oriente à nouveau davantage vers l’organisation d’expositions. Un très long cycle est consacré à l’histoire régionale des immigrations…

           « Cette diversification des activités relève d’une stratégie consciente. Il en est de même d’une autre activité de Pascal Blanchard, plus vertement commentée celle-là, dans le cadre d’une entreprise dont il devient en 1996 l’un des codirigeants : les Bâtisseurs de mémoire (BDM). Cette agence propose aux entreprises d’organiser des expositions sur leur mémoire. » (p,110)

       L’auteure note :

      « Une visite du site web de l’agence montre quelques analogies conceptuelles avec l’Achac. On lit par exemple la volonté de cheminer de l’«histoire » à la « mémoire » à la culture de l’entreprise. Les accointances de Pascal Blanchard, que Camille Trabendi qualifie de « free lance researcher », avec le monde du marketing agacent parfois ou interrogent pour le moins, car elles soulèvent la question de la rentabilité des opérations lancées par l’Achac, de ses partenariats et, de manière sous-jacente questionnent le caractère désintéressé et neutre de ses productions savantes. Sur le blog des éditions Agone, on trouve une critique très vive de son « postcolonial business ». Pascal Blanchard y est accusé de marchandiser le passé colonial afin de placer ses produits, et au détriment d’une certaine déontologie. L’agencement Achac-BDM place en effet le travail de l’association dans le champ économique et confère une autre dimension à son caractère entrepreneurial. La stratégie du « marketing ethnique » est d’ailleurs assumée et plébiscitée par Pascal Blanchard qui la vante dans quelques revues de marketing. Cette dimension entrepreneuriale se retrouve aussi dans l’une des activités de l’association qui s’est donnée une base de données de plusieurs milliers d’images dont il explique l’origine ici lors d’une conférence à Paris « celui qui maîtrise les images, maîtrise tout », ajoutant, lors de notre  entretien :

         « Notre dernière idée de l’Achac, la meilleure idée qu’on ait eue, qui nous a donné une totale indépendance (…) 99% du patrimoine était éparse. On est parti de l’idée qu’il fallait qu’on constitue notre propre patrimoine…. Aujourd’hui on doit avoir 20 000 ou 30 000 originaux et peut-être 100 000, 90 000 documents »  (p,110,)

         « La médiatisation est également l’un des terrains d’action les plus importants. Dans les seules archives audiovisuelles, on compte quatorze passages entre 2005 et 2006. Cette présence agace beaucoup d’historiens du champ académique français. Pascal Blanchard évoque les lettres reçues par les rédactions des télévisions :

         «  Et là, le sommet que j’ai eu c’est un copain d’Arte qui m’a sorti toutes les lettres d’universitaires dénonçant qu’on passait trop à la télé. Et là tu lis avec grand plaisir, et je fais encore des sourires à tous ces gens-là que je connais très bien. »

        Vraie ou pas, l’anecdote témoigne d’un positionnement décalé mais assumé vis-à-vis du monde universitaire. Pascal Blanchard sait du reste reconnaître une faiblesse, le défaut de reconnaissance académique, en force : le positionnement économique et institutionnel. »  (p,111)

       Commentaire :

       Il est dommage que ce type de témoignage d’une historienne n’ait pas été connu en 2010, car il situe parfaitement la configuration du modèle de propagande Blanchard and Co. Il aurait permis de mieux prendre au sérieux les dérives d’une histoire postcoloniale qui en définitive, n’en est pas une,  ce que je pense et que j’ai exprimé en détail en 2008.

        L’auteure m’excusera sans doute d’avoir cité de longs passages de son analyse, mais ils apportent maintes preuves de l’action tout à fait ambiguë de l’association Achac.

        N’est-il pas surprenant pour ne pas dire illégal que l’on puisse faire partie d’un laboratoire du CNRS UP 3255, (un affichage périmé ?),  diriger une association qui reçoit des fonds publics, et en même temps codiriger une agence de communication privée, sur le même terrain ?

       Ce mélange des genres appellerait incontestablement transparence et contrôle des comptes associatifs et privés!

      Je ne retiendrai qu’une seule expression citée par Pascal Blanchard lui-même », le « marketing ethnique » pour caractériser une démarche qui n’appartient décidément pas à l’univers académique.

« Les partenariats institutionnels » (p,111)

       « L’ampleur de cette présence médiatique vaut enfin à l’Achac une reconnaissance institutionnelle importante. Des partenariats noués avec les collectivités territoriales permettent de financer les recherches et d’organiser des expositions. A titre d’exemple, en 2006, l’Achac passe un accord avec la mairie du 12°arrondissement pour un programme commun de manifestations sur l’exposition de 1931 et y organise un grand débat-conférence où les piliers du groupe sont présents. De façon plus régulière, le Fonds d’aide et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASIDL) devenu l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE) en 2006 a cofinancé également des enquêtes et rapports. Cet appui institutionnel est un autre élément-clé du succès de l’Achac qui produit (et vend) des ressources (films, expositions, conférences) accessibles au grand public. Oe, depuis les années 1990, les collectivités territoriales se lancent dans des projets de valorisation patrimoniale dans lesquels l’immigration tient une place de choix. C’est le cas de la région Midi-Pyrénées qui, en 2003, commande à l’Achac une enquête financée par la Division interministérielle de la ville (DIV) dans le cadre du programme « Mémoire, ville, intégration et lutte contre les discriminations ».
       L’enquête dure six mois. Elle est menée par Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Emmanuelle Collignon. Une synthèse des résultats est publiée sur le site du ministère de la Ville en janvier 2005, ainsi que dans le livre 
LaFracture coloniale… le rapport insiste sur la méconnaissance de l’histoire coloniale par les populations immigrées comme élément constitutif du malaise et du ressentiment éprouvé…

         Plus récemment, le Comité interministériel des villes a décidé le 18 février 2013, une nouvelle enquête sur la mémoire collective dans les quartiers populaires… Le rapport est publié cette fois dans son intégralité en octobre 2013… Il y est rappelé le poids de l’héritage colonial, à plusieurs reprises.

       « Aujourd’hui, on le constate, l’histoire d’inégalités issues du passé se prolonge sous des formes multiples dans le temps postcolonial » (p,58 du rapport)

     «  En confiant ce rapport à Pascal Blanchard, les autorités, nationales, cette fois, franchissent un cap dans la reconnaissance de la mémoire coloniale comme ressource patrimoniale et révèlent la place acquise par l’Achac dans le dispositif institutionnel de lutte contre les discriminations. »  (p,113)

Commentaire : il peut paraître surprenant que pour procéder à l’enquête de Toulouse, l’administration  ait fait appel à une association dont la statistique  n’était pas vraiment la spécialité, d’autant plus que son travail d’interprétation des images de la France coloniale en métropole n’avait pas fait l’objet d’une analyse statistique qui l’aurait éclairée.

     Pour le reste, la double face publique et privée de cette association, le mélange des genres qu’elle semble pratiquer, a sans doute appelé des contrôles juridiques et financiers dont il n’est pas fait état, alors que l’Achac semble prospérer dans le « business » postcolonial.

     « L’usage de la culture coloniale et du continuum comme instruments de catégorisation culturelle. (p,113)

      Commentaire : pourquoi ne pas être surpris par la mise en scène du concept savant de « continuum », difficile à définir dans le cas présent, et qui n’a fait l’objet d’aucune mesure scientifique, ne serait-ce précisément que par sondage ?

      « Le continuum colonial est le fil rouge des travaux de l’Achac dès sa création. Il complète et explique la notion de culture coloniale fondée sur l’idée –inspirée des postcolonial studies – de la fabrication d’un imaginaire raciste par la situation coloniale (colonisation, moment colonial, décolonisation) qui perdure après la décolonisation et qui imprègne encore les sociétés contemporaines. L’expression  continuum colonial soutient l’hypothèse que l’un des facteurs des discriminations au présent réside dans la relégation du passé colonial, voire sa non-prise en compte dans le récit national. Cette interprétation développe l’idée qu’une meilleure appréhension du passé colonial faciliterait l’intégration des populations héritières de l’immigration soucieuses de verser leurs héritages dans le pot commun historique.

     Tous les travaux de l’association vont donc tourner autour de l’identification de cet imaginaire, à travers des sources quasi exclusivement de propagande (affiches de propagande, cartes postales coloniales, objets coloniaux), et la pise en avant (voire l’exposition) de la poursuite ininterrompue de ces représentations racialisées depuis la première colonisation du XVIème siècle. »

       Commentaire : l’auteure évoque ensuite l’exposition consacrée aux « zoos humains » lancée en 2000 ? Un seul commentaire : l’Achac a complètement caricaturé un sujet qui méritait plus d’objectivité et de sérieux.

      De 1877 à 1931, 32 expositions de peuples « exotiques » ont eu lieu au Jardin d’Acclimatation, dont 11 organisées par la troupe allemande Hagenbeck, et sur le total, on trouvait une grande variété d’origines, Lapons, Eskimo, Peaux-rouges, dont 11 venues d’Afrique.

         « L’idée de continuum  est donc posée comme une ressource pour penser politique. (p,114)

           Le moment le plus abouti de l’implantation de l’Achac dans le champ de l’histoire et de la mémoire coloniale est la publication en 2005 de La Fracture coloniale. Pascal Blanchard nous a relaté la genèse de cet ouvrage dont l’écho est considérable… Il est évidemment placé sous le prisme du continuum colonial puisque certains articles traitent des banlieues et de l’immigration quand d’autres sont focalisés sur le passé colonial. »

         Cette enquête a été financée par la Délégation interministérielle à la ville.

        «Dans le livre, l’article de Sandrine Lemaire est consacré à l’enseignement du fait colonial considéré comme partiel, lacunaire et n’opérant aucun lien avec la question de l’immigration. Cet article est le produit d’un long travail de fond à destination des curricula d’histoire. » (p,115)

         « Le marché de l’histoire scolaire (p,115)

         Très tôt, les historiens de l’Achac ont sollicité l’école, rouage essentiel de la démocratisation de leurs travaux… Lors de notre entretien, Pascal Blanchard évoque à plusieurs reprises son souci de toucher les enseignants. Sandrine Lemaire, enseignante dans le secondaire, est décrite comme assurant ce rôle d’interface.

        « moi je suis pas très compétent là-dessus : ça a jamais été mon territoire ; moi j’avais qu’un seul truc qui m’intéressait c’est la partie illustrative des manuels parce que je pense que les manuels (inaudible) maintenant ça a un peu changé mais l’image coloniale c’était une  catastrophe, c’est à dire qu’ils n’expliquaient pas que c’était une image de propagande, disaient pas, c’était illustratif. »

       « La stratégie a donc été, d’après lui, de développer un rapport de force avec les éditeurs…. La problématique scolaire intéresse très peu Pascal Blanchard lui-même, qui, n’a d’ailleurs jamais enseigné, mais l’Education nationale est un marché….

…  l’article de Sandrine Lemaire dans La Fracture coloniale est en quelque sorte l’aboutissement de cette conquête de marché. » (p,116) (J’ai souligné)

  • L’auteure évoque alors assez longuement l’enquête de Toulouse de   2003,     trente-quatre personnes seulement interrogées,  les enquêteurs s’étant rendus sur place avec une mallette pédagogique pour soixante-huit participants, la mallette proposée par l’Achac…

        « Les résultats de l’enquête sont détaillés dans le rapport in extenso que nous avons pu nous procurer. L’enquête prétend avoir choisi une ville neutre sur le plan de la mémoire coloniale. (note 28) L’analyse des questionnaires (aux questions fermées) montre une « défaillance des programmes scolaires qui accordent la portion congrue à cette page de l’histoire » (p,10)

         « … Fortes interférences entre la mémoire familiale…. Forte demande sociale « formulée explicitement vis-à-vis de l’histoire coloniale ». Enfin, ils signalent que les principaux schèmes coloniaux élaborés au temps de la colonisation ont conservé une certaine vitalité (p,17), affirmant même que :

       « Il ne fait guère de doute que la spectacularisation actuelle du débat sur l’insécurité et les banlieues – sans même parler du mot « jeune » qui opportunément remplace celui de l’esclave, de sauvage, d’indigène, d’immigré ou de sauvageon – constitue une reformulation de ce que l’on pourrait appeler une fracture raciale. » (p,18)

       « …  Beaucoup de jeunes sont encore plus dans une logique d’humiliation vis-à-vis de cette histoire, disent-ils, il y a donc un gros travail pédagogique à effectuer. » (p,117)

         Commentaire :  1- il est évident que Toulouse n’était pas une ville neutre comme le souligne la note 28 (p,117) : « C’est une affirmation très contestable du point de vue de l’histoire et de la réalité sociologique de la région Midi-Pyrénées et de la ville de Toulouse. »

       2 – la représentativité statistique de cette enquête ? 34 questionnés, et l’on en tire des enseignements qui permettent d’affirmer « Il ne fait guère de doute » ? L’éditeur a-t-il pu en juger ?

      3 –  je n’irai pas plus loin dans mon commentaire, sauf à dire que les propagandistes coloniaux n’ont jamais eu l’occasion de tenir et de diffuser leurs images et leur discours comme le font ces nouveaux propagandistes  postcoloniaux : seuls les historiens sérieux ont l’occasion de mesurer si les deux propagandes se font à armes égales, étant précisé que la propagande, s’il s’agissait de cela, dans les livres scolaires de la Troisième République, ne représentait que quelques pages de ces livres. En est-il de même pour les œuvres de Sandrine Lemaire ?

       L’Achac a obtenu le concours des  institutions publiques : « note 30, p,118, Ces documents ont un caractère semi-officiel, élaborés par des chargés de mission mais signés par l’Inspection générale. Publiés par le CNDP, et visés par l’IGEN, ils sont porteurs d’une vision  prescriptive même douce. »

Note 31 Au lycée, le manuel Hatier 1ère L,ES,S consacre une double- page aux « représentations de l’indigène », p, 74. Chez Bréal, le manuel de terminale consacre une double-page à « Comment les colonies sont-elles perçues par les Français entre les deux guerres ? »( p,144)

      Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? L’ACHAC/BDM -Extraits Laurence de Cock – fin

« Essentialisation et déhistoricisation de la question immigrée (p,120)

   « Les manuels rendent compte sans critique distanciée du fameux continuum, ce qui n’est pas sans poser problème. Sous couvert de « remettre l’indigène » dans le récit scolaire, les supports documentaires de propagande, publicités coloniales) proposent un discours focalisé sur les stéréotypes coloniaux. Certes spectaculaires, ces documents ne permettent pas d’interroger les conditions de réception de l’époque, ni même d’ajuster les variables historiques de l’édification de cette « culture coloniale ».  La démarche conduit à une forme d’essentialisation de la figure de l’indigène, au mépris des travaux universitaires qui insistent sur les phénomènes d’interactions, de rencontres, d’accommodements, de résistances, de métissage, etc. Le colonisé est enfermé dans son rôle de victimeune « histoire de fantômes délicieusement fascinante » (Note 32) Ce faisant, le risque existe de fabriquer des cadres d’intelligibilité rapides et artificiels des relégations actuelles qui ne sont vues que sous un angle culturaliste. Pour des adolescents en construction identitaire, cela peut nourrir une forme d’ethnicisation des rapports sociaux. C’est aussi ce que lui reproche le politiste Jean-François Bayart dans son ouvrage au titre évocateur Les Etudes postcoloniales, un carnaval académique ou dans quelques débats médiatisés… Il y a là le risque de substituer à une nécessaire réflexion sur la domination, une pensée réductrice et vidée de sa dimension sociale au profit d’une dimension purement culturelle.

Les expositions proposées par l’Achac reprennent aussi ce prisme

    Comment expliquer le succès de l’Achac ? L’Achac/BDM forme un conglomérat pénétré de la culture entrepreneuriale, militante et académique. Forte de ces trois propriétés, l’enrôlement de la sphère académique a été très réussi en prenant appui sur les ouvrages collectifs associant des universitaires et en cumulant les capitaux symboliques des auteurs français et étrangers, et de l’éditeur (forte renommée de la Découverte) a su faire valoir l’opportunité d’entrer dans son réseau ; viabilité des travaux et valorisation d’une science engagée qui expliquent la constellation d’auteurs impliqués à ses côtés sans être toujours d’accord avec ses orientations. Par ailleurs, la connaissance du fonctionnement du « marché » et des modalités  de communication, explique l’occupation du terrain médiatique ainsi que les multiples partenariats à vocation  « événementielle »… cette emprise multisectorielle de l’Achac nourrit encore aujourd’hui la culturalisation de la question de l’immigration et contribue à minimiser le facteur social de la relégation comme le montrent les diverses expertises sollicitées par la politique de la ville. » (p,121)

     Commentaire –  Cet article explique clairement comment fonctionne le moteur économique, médiatique et politique de ce modèle de propagande postcoloniale.

      Au-delà de la critique intrinsèque qui peut être faite sur la nature pseudo-scientifique du discours de l’Achac/BDM, pourquoi ne pas relever que le « conglomérat » en question surfe, sans le dire, sur les flux importants d’immigration régulière ou irrégulière qui depuis trente ou quarante ans nourrissent sa clientèle idéologique ?

Extraits de l’analyse Laurence de Cock avec quelques commentaires de

Jean Pierre Renaud

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale: le livre « Images et Colonies (1993)

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

 Le livre « Images et Colonies » (1993)

Avec l’aide d’un petit carnet de notes rapides d’un non-enseignant !

          Après avoir publié un résumé de lecture décryptée de la première source savante, les Actes du Colloque de janvier 1993, je propose un résumé de lecture décryptée de la deuxième source savante, le livre en question.

         Il s’agit de la deuxième partie du deuxième mouvement de réflexion annoncé sur les caractéristiques de ce modèle de propagande postcoloniale.

       Seront ensuite publiés, au titre du troisième mouvement de réflexion critique,  trois extraits de textes d’origine universitaire, puis le résumé du quatrième mouvement de réflexion critique sur la propagande postcoloniale de ce collectif de chercheurs à partir des livres qu’ils ont publiés sur la Culture coloniale et impériale, sur la Fracture coloniale, et sur la République coloniale, ou encore sur l’Illusion coloniale.

Cadrage historique de l’ouvrage

       Les images et commentaires de ce livre concernent avant tout l’Afrique noire française, et leur présentation est effectuée dans une chronologie qu’il convient de rappeler – 1880-1914 – 1914-1919 – 1919-1939 – 1939-1945 – 1945- 1962 -, car elle constitue en elle-même une contrainte d’interprétation historique du sujet.

      Précisons que dans leurs livres « Culture coloniale » et « Culture impériale », le collectif de chercheurs Blanchard-Lemaire-Bancel a opté pour un autre découpage chronologique.

         En 1914, la Côte d’Ivoire, nouvel état créé en 1893, était à peine pacifiée, et mis à part le Sénégal, un cas tout à fait particulier, la paix civile était loin d’être instaurée dans la plupart des autres colonies, pas plus que la nouvelle organisation administrative coloniale. La Fédération de l’AOF fut créée en 1895 : elle était alors constituée de colonies très récentes dont les structures administratives étaient encore dans les limbes. Certaines parties de leur territoire se trouvaient en état d’insécurité ou d’inconnu, avec une absence quasi-complète de voies de communications.

        Rappelons également que le Togo et le Cameroun étaient des colonies allemandes.

         En ce qui concerne la période 1914-1918 Il convient de rappeler également que, sans l’intervention et les initiatives du député sénégalais Diagne, la France aurait eu beaucoup de peine à enrôler des tirailleurs africains, alors que des révoltes éclataient dans le bassin du Niger.

        Nous verrons par ailleurs ce qu’il convient de penser quant à la représentativité historique de cette période pour le sujet ici traité.

          La seule période au cours de laquelle la France coloniale eut à peu près le contrôle de la situation se situa entre 1919 et 1939, une courte durée de vingt années (l’après 14-18, la dévaluation Poincaré de 80% du franc en 1928, la crise de 1929, l’Allemagne d’Hitler…) qu’il convient d’avoir en tête lorsqu’on parle de la colonisation française en Afrique noire.

          A partir de 1939, avec la guerre, puis la guerre froide, et les révolutions de toute nature qu’elles provoquèrent sur la planète, plus rien n’était comme avant.

      Enfin, au-delà des questions qui ont déjà été posées sur la nature scientifique de l’échantillon que propose cet ouvrage, je crois pouvoir indiquer que tous les récits et images, venant du « terrain », ceux des « acteurs » des « situations coloniales concrètes » que j’ai consultés sur la période coloniale sont loin de démontrer la pertinence de l’interprétation qu’en donnent les animateurs de l’Achac.

     Rappelons que l’objet de ce livre est de démontrer que les images coloniales qui avaient pour cible la métropole, choisies et publiées par le couple Achac-BDIC ont marqué profondément  les mentalités françaises de leur époque, jusqu’à nos jours

&

       Cet ouvrage de 304 pages, richement illustré, a été en effet publié sous l’égide de l’association ACHAC, Association pour la connaissance de l’Afrique contemporaine, et de la BDIC Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (elle vient de changer de nom).

Cadrage de l’ouvrage en signatures

       Le livre ne contient pas toutes les signatures des communications du Colloque : sont absentes celles de Catherine Coquery-Vidrovitch, d’Annie Rey-Goldzinger, de Daniel Rivet, et de Marcel Oms, soit quatre sur douze.

        Il convient de noter en revanche qu‘y figure une longue communication de Charles Robert-Ageron, qui ne participait pas au Colloque, et qu’au total, dix-sept des participants à ce Colloque sur 39 y ont signé une contribution, soit à peu près la moitié du total.

Cadrage d’interprétation historique

        Afin de  tenter d’éclairer le sens de l’ensemble des contributions publiées, j’ai pris l’initiative de procéder à une sorte d’exercice d’évaluation en leur attribuant un code d’interprétation de ces communications de la façon suivante : Intérêt : oui –non – Exotisme : oui – non – Propagande : oui – non – ?

       Il s’agit du carnet de notes d’un non-enseignant annoncé dans le sous-titre.

      Chaque lecteur de ce livre est bien entendu en mesure de tenter d’interpréter ces communications de la façon proposée, ou d’une autre, afin de pouvoir avoir une opinion sur  le sens historique des contributions publiées, notamment sur la propagande coloniale, cœur de cible historique de ce collectif.

       D’après ces pointages, le thème de la propagande coloniale n’a  imprimé sa marque sur les situations décrites en métropole que de façon marginale, et plus de la moitié d’entre elles soulèvent plus d’interrogations que de réponses sur la réalité de cette propagande.

       Toutes les lectures et interprétations des images et messages de cette période posent, en tout cas pour l’instant, de redoutables problèmes d’évaluation, de méthode historique et statistique, quant à la représentativité des analyses proposées, avec une question lancinante qui revient dans un tel débat : s’agit-il d’une histoire des idées ou d’une histoire quantitative ?

        Nous y reviendrons dans notre conclusion.

        Jean Pierre Renaud  – Tous droits réservés

III- Propagande postcoloniale contre propagande coloniale: I -1880-1914 – 2 – 1914-1918

III – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale : le livre « Images et Colonies

I –  Exploration Conquête Exotisme 1880-1914 (pages 15-72)

 57 pages et 167 images

J’ai récapitulé ci-après le nom des auteurs et  le titre des contributions qui figurent dans cette partie I

      Anne Hugon : « Conquête et exploration en Afrique Noire »

        (p,18 à 24 –  23  images) : I = oui  – Ex = oui – Prop. = non

      Philippe David : « Les cartes postales sur l’Afrique noire française » (p,24   à 26 – 6 images) : I = oui – Ex = oui – Prop.= non

      Laurent Gervereau : « L’exotisme » (p,26 à 47 – 62 images ) : I = oui –

       – Ex = oui – Prop. = non

       Citons un extrait de texte d’autant plus intéressant que son auteur a été une des chevilles ouvrières de l’ouvrage pour la BDIC, aux  côtés de l’Achac :

         « Reprenant notre précédent essai de catégorisation, « nos cercles concentriques » de l’exotisme, nous débuterons par ce que l’on peut appeler le « fantasme exotique ».

      Il est le fait, durant notre période (1880-1914) de la quasi-totalité des illustrations de presse et d’ouvrages (nous venons de le constater), il s’appuie sur trois axes ; la violence, l’exotisme, l’étrangeté. Ce sont ces trois termes qui se conjuguent dans ce qui fut appelé la « peinture d’histoire » ». (p,39)

       Question : exotisme ou propagande ?

      Lynne Thorton : « La Villa Abd-El-Tif et les peintres orientalistes français » (p,48,49 – 5 images)  – I =oui – Ex = oui – Prop.= non

      Cette communication est d’autant plus intéressante qu’elle met en lumière la richesse des images coloniales de l’Algérie et leur ancienneté que Monsieur Pierre-François Souyri a ignorées en esquissant une comparaison hardie entre la colonisation de la Corée et celle de l’Algérie. (voir blog du 20/08/15)

            Françoise Raison-Jourde : « Images missionnaires et propagande coloniale » (p, 50 à 57- 16 images) : I – oui – ex = oui –  Prop. = non

            Cette contribution s’intéresse surtout au cas de Madagascar.

            Nous sommes ici dans un domaine ambigu, sinon contradictoire, car paradoxalement et faute d’y mettre l’argent public nécessaire, les gouvernements laïcs de la Troisième République ne voyaient que des avantages à ce que les missions suppléent à leur défaillance.

      L’auteure conclut : « Les images des lointains îlots de chrétienté et de leurs héroïques bergers atténuent la virulence de cet –épisode- et confortent la revendication d’éternité dans le temps d’universalité dans l’espace qui est propre au christianisme. » (p,57)

       Yann Holo : « L’œuvre civilisatrice de l’image par l’image » (p, 58 à 65- 22 images) :I = oui – ex = oui – Prop. = oui, mais avec quels effets, aucun avant 1914, et après ?

       L’auteur écrit en effet : « …  jusqu’à la première guerre mondiale, la grande majorité des Français reste indifférente à l’Empire. » (p58)

       L’auteur décrit les traits de ce type d’action, le « génie colonisateur », l’Evangile du Progrès », l’ « après-Sedan », « Le Parti colonial à la conquête de l’opinion » avec les trois pôles, le parlementaire, l’intellectuel, l’Union Coloniale, mais souligne :

       « Malgré ses efforts, la question coloniale reste absente des programmes du primaire et du secondaire et c’est seulement dans les années 20 que l’étude des colonies progresse dans le cadre de l’enseignement de la morale et surtout de l’histoire géographie. … Avec une rhétorique manichéenne (p,62)    

     « L’image du bon Noir se substituant ensuite à celle du sauvage. » (p,62, 64)

      «  Le discours civilisateur, fondamentalement positiviste et raciste, traverse toute la période coloniale… En effet, les représentations des « bienfaits de la colonisation », des progrès techniques, apportés par le colonisateur dominent l’imagerie coloniale jusqu’aux indépendances. »  (p, 65)

Commentaire : une sorte de survol de la période, quelque peu contradictoire.

         Yves Galupeau : « L’Afrique en images dans les manuels élémentaires d’histoire (1880-1969) »    (p, 66 à 70 – 12 images) :

       I = oui – ex = oui –   Prop. = non

     Noter que la période étudiée va au-delà de cette première phase chronologique.

       L’auteur propose un tableau statistique sous le titre « La conquête de l’Afrique : ventilation relative des images % » avec le  découpage chronologique suivant : 1880-99 ; 1900-18 ; 1919-29 ; 1930-44 ; 1945-62 ; 1963-69. L’Algérie représente la part principale de ces images, plus de 70% entre 1880 et 1929.

       L’auteur précise à la fin de son étude, en note 2 : « Pour la période ici retenue, l’analyse repose sur un corpus iconographique d’environ 1 300 images extraites de près de 250 manuels. » (p, 69)

       L’auteur introduit son texte ainsi : «  Contrairement à l’idée qu’on peut s’en faire en parcourant hâtivement quelques manuels anciens, l’iconographie des livres élémentaires d’histoire – et a fortiori celle inspirée, pendant près d’un siècle par les colonies françaises d’Afrique – ne se réduit nullement à la répétition indéfinie d’une poignée de stéréotypes. »

… «  Une ample moisson de lauriers : tel est le premier bénéfice que les français semblent avoir retiré de l’aventure coloniale…Indéniablement, le légendaire colonial des manuels d’histoire est prioritairement un légendaire militaire….De ce point de vue, l’inflexion majeure, dans l’ensemble du corpus, correspond à l’exigence nouvelle, vers 1930, d’une version moins brutale, plus diplomatique de la conquête….Cette exaltation, sans nuance, de l’œuvre civile de la colonisation, s’inscrit dans le même contexte et la même chronologie….les élèves n’ont aperçu dans leurs livres d’histoire la face cachée de la domination coloniale. L’image qu’on leur proposait ainsi de l’univers colonial était assurément mythique voire onirique ; mais il n’est pas indifférent de noter que ce rêve n’était pas de pure domination et d’exclusion, mais de ressemblance et, en définitive, d’égalité, dès lors toutefois que le modèle fut la métropole. » (p,68)

       « Gilles Manceron « Le missionnaire à barbe noire et l’enseignant laïque » (p,68-70- 8 images)–  I = oui – Ex = ? – Prop. = ?

        D’entrée de jeu, l’enseignant décrit le paradoxe de l’enseignement colonial : «  N’est-il pas paradoxal que la grande période de construction de l’Empire colonial français, de 1880 à 1914, ait été à la fois, en politique intérieure française, une période d’affrontements intenses entre le parti clérical et le camp laïque, et  en matière de politique coloniale, une période de consensus global entre les deux grands courants de l’opinion… Selon le mot de Gambetta, l’anticléricalisme ne devait pas être un article  d’exportation. » (p,70)

      J’écrirais volontiers faute de mieux, compte tenu du système de financement de la colonisation choisi par la France, le même self-suffering que celui des Anglais.

Commentaire : pas de quoi  produire le miracle du fameux « bain colonial » !

III – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale : le livre « Images et Colonies »

II – « Quand les Africains combattaient en France en 1914-1918 » (p, 72 à 96)

24 pages et 56 images

Question préalable : cette période a-t-elle sa place dans ce type d’exercice d’évaluation historique ?

       Cela dit,  et à cette occasion, les Français et les Françaises ont pu faire connaissance avec le monde noir, celui des tirailleurs africains, avec des contacts souvent sympathiques, à l’opposé de la condition qui était faite aux Noirs en Allemagne, et chez nos amis américains.

      Ajouterais-je que beaucoup de ces tirailleurs, pour ceux qui furent de retour dans leur pays, des intermédiaires irremplaçables entre leurs peuples et l’administration coloniale et  des interprètes influents.

     Ne s’agirait-il pas d’un cas paradoxal de propagande coloniale positive ?

      Hans-Jürgen Lüsebrink « Les troupes coloniales dans la guerre : présences, imaginaires et représentations »  (p, 72 à 90 – 30 images)

     I = oui – Ex = non –  Prop. = ?

      Question : quelle est la représentativité historique de cette période de guerre qui rend difficile toute comparaison dans les mouvements longs de l’histoire ?
            Marc Michel « L’image du soldat noir » (p,86,90 – 11 images)

      I = oui – Ex= non –  Prop.  = oui dans le sens opposé au discours Achac.

       « L’imagerie du soldat noir de la Première Guerre mondiale a donc été abondante et variée. Elle témoigna d’une grande activité de la propagande, mais également d’un intérêt nouveau du public métropolitain envers les hommes de l’Empire. Cet intérêt fut beaucoup moins malsain que ne le laissent entendre les gloses ultérieures, une curiosité plus empreinte de bienveillance pour les hommes et d’admiration pour les combattants, que d’hostilité, mais évidemment un regard ambigu parce que profondément imprégné de condescendance raciale et très peu curieux, finalement des Africains pour eux-mêmes. Au total, une imagerie fonctionnelle, beaucoup plus que désintéressée. Rendons lui cependant cette justicela condescendance raciale ne déboucha jamais sur la volonté de ségrégation raciale. » (p90)

      Laure Barbizet Namer « Ombres et lumières portées sur les Africains Peintures, gravures, illustrations, cartes postales »  (p,91à 96 – 16 images)

        I = oui – Ex = oui –  Prop.  = ?

        Rendons hommage tout d’abord à l’auteure pour son éclairage statistique, mais convient-il de rapprocher le chiffre ci-dessous de celui du million de documents cités par Pascal Blanchard ?

         500 000 documents sur le million cité, soit la moitié sélectionnés pour la totalité de la période 1880-1962 ?

       « A partir de la collection du musée d’histoire contemporaine qui regroupe 500 000 documents sur la Première guerre mondiale, on abordera les différents supports de ces images, puis les thèmes qui les traversent» (p,91)

      « Les supports – L’Africain est peu représenté sur les affiches…Pour en finir avec les chiffres, concluons par la sous-représentation évidente des coloniaux par rapport au corpus initial – ils ne sont présents que dans une image sur mille – alors que l’effectif des soldats provenant d’Afrique avoisinait 2% des effectifs. »

     Venant d’’Afrique noire ou du Maghreb, que  l’auteure évoque ensuite dans « Les Thèmes » ?  

     Josée Violette « De l’imaginaire à l’humain » (p,96 – 2 images) :I = oui – ex = non – Prop.  = ?

      Jean Pierre Renaud    –   Tous droits réservés

IV – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale – « L’apogée coloniale 1919-1939 »

IV – Propagande postcoloniale contre propagande coloniale : le livre « Images et Colonies »

&

III – « L’apogée coloniale 1919-1939 » (pages 96 à 184)

88 pages et 215 images

          Il s’agit évidemment de la période clé à examiner afin de se faire une  opinion sur l’existence ou non de la propagande coloniale, des vecteurs choisis, de leurs effets sur l’opinion publique française, avec tous les problèmes d’évaluation et d’interprétation des images et des textes que cela posait, des problèmes redoutables.

Une conclusion intermédiaire : quelles conclusions tirer de l’examen des deux premières parties, consacrées à la période de « Conquête, exploration, exotisme » et de la première guerre mondiale ? La propagande coloniale n’a jamais inondé la France au point de lui faire prendre un « bain colonial », contrairement à ce qui est raconté dans le livre « Culture coloniale »  « Imprégnation d’une culture (1871-1814) – (pages 41 à 103).

        La période 1919-1939 a-t-elle été plus fructueuse pour les chercheurs de l’Achac ? Rien n’est moins sûr, comme nous allons le voir.

         Ma première remarque de méthode portera sur l’absence quasi-générale de l’évocation préalable, ne serait-ce que synthétique, du contexte historique national et international des faits décrits.

        Il n’est tout de même pas indifférent de rappeler  que cette période a succédé au bain de sang de la première guerre mondiale (1 400 000 morts et 4 300 000 blessés), dans une France à moitié détruite et ruinée.

        La crise de 1929 est venue très rapidement après, enchainant  rapidement avec la montée de l’hitlérisme, la menace allemande, et les années d’instabilité de l’avant deuxième guerre mondiale.

        Question ? Comment est-il possible de faire l’impasse sur ces épisodes « structurants » de l’histoire, pour utiliser un qualificatif à la mode, alors que Charles-Robert Ageron a bien souligné le caractère tout à fait « conjoncturel » de la propagande coloniale des quelques années d’avant-guerre ? 

       Compte tenu de l’importance que ce collectif a accordée à la propagande coloniale décrite avec beaucoup d’emphase et de termes tonitruants, ce thème fera l’objet d’une chronique spéciale. Le livre « Supercherie coloniale », consacre un chapitre à ce seul thème.

       Les deux premières contributions ont été rédigées par deux historiens aux qualités reconnues dans le domaine de l’histoire coloniale, Charles-Robert Ageron et Gilbert Meynier.

        Les deux historiens ont documenté leurs travaux par des chiffres, les premiers sondages en ce qui concerne le premier, et la place de la culture coloniale dans les livres scolaires, pour le second.

       Charles-Robert Ageron « L’Empire et ses mythes » (p, 98 à 110 – 29images) :      I = oui – Ex = oui – Prop. = non

        Il ne fut pas un des participants (liste) du colloque de janvier 1993.

       Cet historien a traité le sujet à plusieurs reprises, notamment dans la Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer du premier trimestre 1990, avant donc la date de ce Colloque, sous le titre «  Les colonies devant l’opinion publique française (1919-1939).

        Ici, l’historien relie à juste titre le concept de « mythe » à celui de l’Empire.

        « A la veille de la Seconde guerre mondiale, le discours dominant célébrait L’«empire français d’outre-mer », « L’empire français » et plus souvent encore, « L’Empire », avec un E majuscule. De la plate énonciation de 1914, « le domaine colonial de la France » au slogan cocardier de 1939 « La France est un Empire », on était passé de la réalité au mythe….. L’Empire s’affirmait ainsi être devenu l’un des mythes politiques les plus importants de l’entre-deux guerres. » (p, 98)

      L’historien note toutefois : « Encore fallait-il convaincre le Parlement et les citoyens français jusque-là rétifs aux discours des ministres du Parti colonial et plus sensibles aux charges des colonies qu’à leurs éventuels bienfaits…

      De sérieuses résistances de l’opinion s’étaient manifestées lors de la guerre du Rif ou de la guerre des Druzes, et le chef de bataillon Charles de Gaulle y était attentif dans l’«Histoire des troupes du Levant » (1931). Les coloniaux étaient eux, surtout soucieux de briser la carapace d’indifférence du peuple français à la geste coloniale. » (p,99)

       « … En dépit de la constitution d’une Ligue de la République impériale française, on ne voit pas en effet que la mystique impériale ait progressé après l’Exposition coloniale… Bref, le mythe impérial dont on dit parfois qu’il fut durablement enraciné après 1930, n’était pas à ce point solide qu’il réussit à modifier le statu quo… L’immobilisme, fruit de l’indifférence demeurait la règle.

       Les droites adoptent le mythe d’Empire

      Face à ces échecs, la propagande impériale n’en continuait pas moins à se développer… (p,100)

       « On ne déduira pas de cette trop rapide présentation des positions de l’extrême droite que la France politique tout entière fut ralliée dès 1934 au Mythe de l’Empire. Lors des élections législatives de 1936, très rares furent les candidats qui osèrent évoquer les questions coloniales et parler de l’Empire. « Le mot Empire est suspect et la chose indifférente », notait alors le Directeur des Nouvelles littéraires Roger du Gard ; « Pour la plupart, il évoque je ne sais quelle idée de conquête et d’asservissement. »

         Pourtant, dans les années suivantes, l’opinion allait s’acheminer vers un certain ralliement au mythe impérial. (p,101)

     Le ralliement au mythe impérial

     … L’essentiel réside sans doute dans la montée des périls extrêmes. La France directement menacée par l’Allemagne redécouvrit peu à peu le slogan mobilisateur et rassurant du Parti colonial lancé vers 1920 : « Le salut par l’Empire ». (p102)

        « Mais, ils ne furent jamais bien nombreux à  croire entre 1919 et 1939 que cet empire leur apportait la puissance économique et la richesse. » (p,104)

       De la mise en valeur des colonies au « repli sur l’Empire »

       « La mise en valeur des colonies ne séduisait pas les parlementaires qui refusèrent les crédits publics métropolitains d’équipement demandés par Sarraut. Bref, comme je l’ai souvent écrit, la colonisation restait majoritairement perçue comme le stade suprême du mercantilisme, non comme celui du capitalisme…. A partir de 1930, l’Empire fut surtout présenté comme le remède miracle à la crise économique… Mais le « repli sur l’Empire » était aussi et surtout une récession économique… Le Président du groupe parlementaire colonial, Léon Archambaud, tira le premier en 1932 la sonnette d’alarme : « On trouve des millions et des milliards pour renflouer certaines grandes banques et pour aider  certaines nations de l’Europe centrale. Je voudrais que l’on trouvât quelques centaines de millions pour renflouer nos colonies…

      Le mythe du Transsaharien… (p,104)

       « L’Office du Niger, crée en 1932, fut un gouffre financier et un échec économique total…Le Niger ne fut pas- la nouvelle Egypte- qu’Eugène Bélime, « l’homme du Niger », avait promise. (p,108)

     … A la veille de la Seconde Guerre mondiale, un seul thème du mythe impérial devenait obsessionnel : l’Empire par sa puissance économique et militaire garantirait la sécurité de la France…

        Le mythe impérial aurait dû logiquement ne pas résister au choc de la défaite en 1940. Or tout au contraire il survécut comme mythe de compensation. L’Empire devint « la dernière carte de la France », le suprême recours, et beaucoup de Français naguère indifférents ou sceptiques se persuadèrent que l’Empire restait la seule porte ouverte sur l’avenir. «  (p,109)

Commentaire : il est assez surprenant qu’un collectif de chercheurs animé par Pascal Blanchard, dont certains participèrent au Colloque de 1993, aient ignoré cette analyse historique proposée par un historien aussi sérieux et expérimenté que Charles-Robert Ageron, bon connaisseur de  notre histoire coloniale, laquelle démontrait le contraire de ce qu’ils tentaient de démontrer.

      Janos Riesz « Les romans coloniaux français entre les deux guerres » (p,111,112 – 4 images) :  I = oui – Ex = oui – Prop. = ?

     Gilbert Meynier – « L’organisation de la propagande » (p,113 à 124 – 30Images) :    I = oui – Ex = oui – Prop. = non, sauf embryonnaire.

      Deuxième morceau dur après celui de Charles-Robert Ageron !

       Dès l’entrée, l’historien note :

         « Cette propagande qui met les colonies en images, devrait être appréciée par rapport au public ou – aux publics – qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement les matériaux manquent à l’histoire pour en juger avec sûreté. Face à ces éventuels publics, les émetteurs de propagande : l’unité d’inspiration – enraciner la foi coloniale, faire quelque chose des colonies – l’emporte-t-elle  sur la diversité des organismes de propagande, officiels ou non, au point de faire apparaître une concertation provenant d’un projet mûri et poursuivi avec méthode, c’est-à-dire d’une politique ? » (p,113)

Commentaire : l’historien pose bien les deux données essentielles de toute analyse sérieuse de ce dossier, celles relatives aux émetteurs et aux récepteurs des images, mais il est étrange qu’il n’ait pas sollicité le concours de Jean-Louis Miège qui s’était illustré en faisant effectuer des mémoires d’étudiants sur la presse.

      « Organismes et vecteurs de propagande

     Les organismes officiels

      … Y aurait-il donc une propagande officielle qui donne le « la » à l’éducation coloniale des Français ? 

     … En fait sur un échantillon de quatre-vingt- sept manuels d’histoire, la part des colonies reste modeste si elle ne régresse pas, comme l’a montré Patrick Haus‘(mémoire de maîtrise Nancy, 1990) (p,113)

      Associations et groupements privés

     « Aux côtés de la propagande officielle, et dans la même inspiration, existe la propagande des organismes privés… Elles restent marquées par l’influence confinée des professeurs et des sociétés de géographie, bref par l’entreprise coloniale de cabinet.

      Il en va différemment de l’Union coloniale – et de sa Quinzaine Coloniale – plus en prise sur les préoccupations économiques liées à l’Outre-mer. Les chambres de commerce créent des comités de propagande…(p,114)

     Les organismes politiques

    …Mais dans l’ensemble, pour la période concernée, les partis politiques continuent à peu considérer la France coloniale. Les professions de foi électorales l’ignorent. Au moment des élections, comme lors du Front populaire qui suscita d’espoirs chez les peuples coloniaux, l’attention primordiale ne se porte pas sur l’Outre-mer… »

      Propagande et mise en image des colonies entre crédo colonial et exotisme de masse

     Sur trente affiches consultées au Musée d’histoire contemporaine, la presque totalité de celles produites par des organismes officiels connotent la geste utilitaire de l’Empire, l’ordre colonial et le nationalisme français. Un peu plus de la moitié renvoient au décor exotique, à l’anthropologie coloniale, au goût de l’aventure. 27 % évoquent la mission civilisatrice et seulement 18% illustrent les réalisations techniques de la France coloniale. 9% mettent en images les productions coloniales. C’est donc, prioritairement, l’adjuvant national français que renvoient ces images au public qui les regarde. Cet adjuvant est relié dans la plupart des cas à l’exotisme d’Outre-mer servant de décor…

       Au total, les deux tiers des affiches connotent le nationalisme français relié aux projets et aux fantasmes coloniaux,  la moitié  a pour support l’exotisme, moins d’un sur six le modernisme et moins d’une sur sept le rendement économique de l’Empire…

      Dans les photos ou illustrations figurant dans les magazines et livres abordant les thèmes coloniaux, davantage adaptées à un public censé être plus réceptif à ces derniers, la répartition est différente. Sur un corpus de soixante-seize images provenant de la même source, les réalisations modernes de l’Empire viennent en premier, à égalité avec l’exotisme – exotisme connotant davantage l’aventure – l’archaïsme et les sujets anthropologiques. La mission civilisatrice ne vient qu’au second rang…

      Dans les cartes postales, destinées  à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte, plus encore que dans les autres productions… C’est du moins ce que paraît indiquer un corpus de 116 cartes postales à thèmes coloniaux…

     Et ce que proposa l’Exposition coloniale de Vincennes en 1931 correspondit assez bien avec les productions d’images par ailleurs fournies. L’exposition suggéra surtout le dépaysement… (p,121)

        « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est donc principalement un exotisme de masse…  Et dans tout ce fatras narcissique,  les « indigènes », s’ils ne sont pas absents, existent par rapport au centre français, reliés qu’ils sont par des trajectoires françaises conçues en dehors d’eux…. Ainsi en décide l’idéologie coloniale française qui ne parle que pour elle-même… il semble d’après des sondages malheureusement tardifs, que la propagande coloniale ait plutôt davantage touché les jeunes que les vieux…Encore que l’on manque d’éléments pour apprécier les choses, les citadins ont sans doute été plus nombreux à visiter l’Exposition de Vincennes que le ruraux et à céder à son charme exotique. »  (p123)

      La page 124 contient quatre tableaux statistiques tout à fait intéressants dont les sujets sont les suivants :

  • Thème colonial dans 8 catalogues (jouets)
  • Pourcentage de la place des colonies dans les manuels d’histoire par rapport à l’ensemble texte et illustrations
  • Affiches connotant le (la) : le nationalisme, le décor exotique, la mission civilisatrice, les réalisations modernes, les productions coloniales

        Total (30)

  • Photos et illustrations de magazines et livres coloniaux (corpus de 76 images)
  • Cartes postales à thèmes coloniaux (Total 116)

Commentaire : ces tableaux donnent quelques indications plaidant pour la place dominante de l’exotisme dans les images sélectionnées, mais sans que l’on connaisse la méthode de dénombrement utilisée, ni leur chronologie.

         Quid donc de leur représentativité historique ?

Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ? Deuxième partie : les deux sources savantes, le Colloque de 1993 et le livre « Images et colonies »

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Propagande postcoloniale contre propagande coloniale ?

Deuxième partie

Une relecture historique postcoloniale savante avec deux sources:

  • le Colloque de janvier 1993 sur le thème « Images et Colonies »
  • le livre « Images et colonies »

&

Le Colloque de 1993

Organisé par l’Achac du 20 au 22 janvier 1993 à la Bibliothèque Nationale Française

             A l’origine de la thèse de ce collectif, il convient de se reporter au Colloque Universitaire de janvier 1993 (C) sur le thème « Images et Colonies » avec la participation d’une brochette d’historiens connus et reconnus. Pascal Blanchard fut l’un des deux secrétaires de la rédaction de la synthèse de ce colloque  savant.

                             Je serais tenté de dire qu’il s’est peut-être approprié les travaux de ce colloque.

          Nous verrons dans le détail les écarts d’interprétation historique qu’il  convient de relever entre les avant-propos du duo Blanchard – Bancel et le contenu des Actes du Colloque ainsi que celui de l’ouvrage Images et colonies.

          Les contributions ainsi que les très nombreuses illustrations qui figurent dans le compte-rendu de ce colloque savant, de même que dans le livre,  sont pleines d’intérêt, mais leur contenu ne permettait pas en effet d’induire que la France de l’époque coloniale baignait dans la « culture coloniale » décrite par le collectif Blanchard, dans un « imaginaire » colonial qui a leur faveur.

          Qui plus est, le thème même de ce colloque, outre son contenu historique, posait la question de l’interprétation des images avec la contribution insuffisante de la sémiologie, laquelle sauf erreur, y était absente !

         Le contenu de ces travaux ne constituait donc pas une assisse scientifique suffisante pour énoncer certaines conclusions des deux auteurs de l’introduction (M.Blanchard et Mme Chatelier) :

     « …  le temps colonial se réapproprie le présent, que l’image fut l’alliée puissante du colonialisme… et que cette multiplication des images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial. » (Introduction Colloque, p,14)

      Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il convient de penser de ces affirmations audacieuses, tout en montrant qu’au cours de ce fameux colloque, toutes les contributions se rapportant aux différents supports d’information ou de culture, et tant s’en faut, n’ont pas fait preuve de la même belle et imprudente assurance historique. 

        Dans le livre « Supercherie coloniale », j’ai récapitulé la série de critiques qu’appelait ce type de discours historique sur l’ensemble des vecteurs d’une culture coloniale supposée, les affiches, les livres, les expositions, les écoles, les journaux, le cinéma… et sur leurs effets supposés dans une opinion publique jamais mesurée.

        Car telle était la critique la plus sérieuse que je formulais, l’absence de mesure, d’évaluation des vecteurs proposés avec leurs effets sur l’opinion, alors que le seul vecteur qu’il était possible d’analyser sérieusement était alors la presse.

        La thèse du collectif Blanchard ne s’inscrit en effet pas dans une histoire « quantitative » qui aurait pu la qualifier pour être représentative de son objet, de ses objets, car ils sont multiples : il s’agit de la carence de méthode la plus grave, et c’est sans doute ce qui fait sa différence avec la thèse Huillery dont tous les efforts ont porté sur une « représentativité » historique supposée dans la ligne de l’histoire « quantitative », mais sur un terrain exotique et  géographiquement localisé.

&

            Afin de bien comprendre les enjeux historiques, méthodologiques, et en définitive politiques et idéologiques du débat qu’il faut ouvrir sur le discours du collectif de chercheurs animé par l’historien Blanchard, avec l’appui de l’association Achac, il est nécessaire de revenir en effet à la source, c’est-à-dire le colloque savant qui eut lieu en janvier 1993 sur le thème Images et Colonies, en consultant les Actes publiés, leur introduction (Signatures Blanchard et Chatelier), leur conclusion (Signatures Debost et Manceron), ainsi que les différentes synthèses effectuées sur chacune des catégories de thèmes retenus :

            I « Mythes, Réalités et Discours » : synthèse par Mme Catherine Alcoer

            II «  Images et Messages » : synthèse par Mme Anne Hugon

            III « Arts et Séduction » : par Mme Barbara Boëhm

            IV «  Regards croisés » : sans synthèse

            La liste des participants comptait 39 noms, pour deux tiers d’entre eux des historiens et historiennes, mais il convient de noter que la discipline de la sémiologie ne comptait aucun participant, alors que la Colloque avait l’ambition d’analyser, avant tout,  des images et des messages.

            Il est important de revenir sur ce Colloque qui a analysé des lots d’images triées et proposées, si j’ai bien compris, par l’association Achac, première étape du parcours « historique » des chercheurs qui ont publié l’important volume intitulé « Images et Colonies » – (1880-1962) » comptant près de trois cents pages de textes et d’images, souvent très belles, incontestablement un travail de collection tout à fait intéressant.

            Au cours de la deuxième étape, le collectif de chercheurs a exploité ces sources et publié la série d’ouvrages relatifs à la Culture coloniale, impériale, à la Fracture coloniale, et à la République coloniale, « apanages » supposés de notre pays.

            La question de fond que posent ces parcours historiques est celle de savoir quels étaient les objectifs de ce colloque,  (voir mes soulignés), selon les deux auteurs de la conclusion :

         « La réflexion entamée par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. L’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier. Cela implique de nouveaux débats et de nouvelles rencontres ainsi que des incursions scientifiques dans des domaines extrêmement divers qui vont de certains aspects délaissés de l’histoire politique et économique de l’Europe contemporaine, à l’ethnographie, la sociologie et l’histoire régionale, politique et économique africaine, sans oublier une prise en compte de l’histoire de l’art, de celle du cinéma, de la photographie et de la publicité et la sémiologie de l’image. C’est à ce prix que l’on pourra œuvrer efficacement pour l’histoire comme pour l’avenir. » (p,148)

        Vastes chantiers donc à ouvrir, qui n’ont pas été ouverts, et qui n’ont pas empêché ces chercheurs de s’engouffrer dans celui de « l’avenir » c’est à dire celui de l’idéologie et de l’immigration.

      Vaste ambition, vastes chantiers, lesquels reposaient sur de nombreux postulats d’évaluation, de mesure, à vérifier, et à valider, aussi bien en Europe que dans ses colonies, qui n’ont pas été vérifiés et confirmés, comme nous le verrons dans le cas français, pas plus que l’existence de « l’imaginaire » énoncé.

        Le lecteur aura donc la possibilité de se poser la vraie question, à savoir si ce type de discours n’irrigue pas plutôt une construction anachronique et idéologique, tout à fait artificielle, d’un imaginaire qui a la faveur de ces chercheurs, un imaginaire censé expliquer ce qui se passe dans certains territoires de notre pays, un imaginaire qui n’a jamais été décrit et mesuré depuis plus de vingt années.

       La lecture de ces conclusions est fort instructive car elles ne militent déjà pas pour la thèse « historique » que je viens de rappeler, fusse celle de l’introduction signée Blanchard Chatelier, en dépit des imprécisions, affirmations et questions qu’elle contient.

        Dès le troisième paragraphe de cette dernière, les auteurs évoquent la période de Vichy comme un précédent de leur analyse, une référence pour le moins ambiguë, mais à laquelle ils ont fait un sort : d’après eux, la période coloniale aurait souffert de la même amnésie que celle de Vichy : colonisation française = Vichy ?

          Ils écrivent : «  Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été lues par les Français… Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un  véritable bain colonial. » (p,14)

      La phrase soulignée est une contre-vérité alors que leur thèse souffre d’une carence généralisée de l’histoire quantitative, c’est-à-dire l’absence d’évaluation.

     Bain colonial ou non ? Telle est la question, et les auteurs écrivent :

      « Ce bain colonial est-il le fruit d’une volonté politique ? », et les auteurs bifurquent aussitôt sur les figures de l’« indigène » et de l’immigré, le véritable objectif d’une démonstration historique supposée.

      Les deux auteurs ajoutent : « Il semble que ces images soient devenues des réalités  pour une majorité de Français, qui ne doutent pas de leur véracité. » (p,14)

      Il « semble » ? Les deux auteurs nous plongent en effet dans une grande perplexité, un doute insupportable !

       Les deux auteurs posent la question : « Quel impact cette propagande a-t-elle eu ? » (p,15) 

     Alors, bain colonial, oui ou non ?  Réalités, oui ou non ?

     Les deux auteurs évoquent à la fin, « un flot d’images » « reflet des phantasmes et des peurs de l’Occident ».

     En définitive, de quelle déconstruction  ou construction historique s’agit-il ? Pour démontrer quoi ?

      Est-il question des « phantasmes » des Français ou des « phantasmes » actuels du collectif de chercheurs, car les trois textes de synthèse proposent  un certain nombre de questions méthodologiques qui ont été abordées par des participants, auxquelles aucune réponse n’a encore été apportée.

Jean Pierre Renaud – Tous droits réservés

Culture Coloniale ou Supercherie Coloniale (3)

 Pourquoi critiquer sur le fond, et sur la méthode, le discours de ce collectif de chercheurs ?

            Ce n’est pas leur choix des supports d’une culture coloniale ou impériale supposée, que nous contestons, mais leur analyse fondamentale.

            Il n’est pas possible, sur le plan de l’honnêteté intellectuelle, de tirer des conclusions à partir du moment où l’on se refuse à tenter de mesurer le poids de chaque support, par exemple, le tirage des journaux aux différentes époques, la place qu’ils réservaient aux colonies, l’écho que les journaux parisiens ou provinciaux donnaient à tel fait colonial. Or rien de cela n’a été fait par ce collectif, et la thèse Blanchard n’apporte d’informations à ce sujet , que tout à fait relatives, avec un choix restrictif des titres,  pour une période de temps limitée et un champ géographique également limité.

            Absence d’analyse quantitative (colonnes, superficie, année par année…) et qualitative : est-ce que les journaux disaient du bien ou du mal des colonies, ou étaient-ils simplement indifférents, comme l’ont déclaré un certain nombre de spécialistes.

            Donc analyse, sans doute après échantillonnage statistique, garanti, du poids du support d’information et de culture, analyse du poids relatif de l’article ou des articles, de l’image ou des images consacrés à la chose coloniale, et analyse qualitative des contenus positifs, négatifs ou neutres.

            Peut-être aurait-il été nécessaire de mesurer les effets positifs, négatifs, ou neutres, d’un événement colonial sur l’opinion publique, en choisissant ceux qui ont pu l’agiter et ceux qui auraient du l’agiter, par exemple la guerre du Rif au Maroc, dans les années 1925-1926, ou la révolte de Yen Bay, en 1930, en Indochine, si tel a été le cas.

            Nous avons donné plusieurs exemples concrets de ce type de méthode statistique de lecture et d’interprétation dans le chapitre Presse, dont celui du journal Ouest Eclair, dans les années qui ont précédé la deuxième guerre mondiale.

            Le lecteur aura pu prendre la mesure de ces insuffisances et imprécisions dans presque tous les cas de figure, et notamment dans le domaine des livres scolaires, domaine dans lequel les travaux connus contredisent le discours mémoriel. D’autant plus que les pages consacrées aux colonies figuraient en fin de livre, c’est-à-dire à la fin du programme scolaire: qui peut assurer qu’elles ont été effectivement lues ou commentées par les enseignants, juste avant les grandes vacances?

            Mais les mêmes insuffisances et approximations existent pour les cartes postales, les affiches, le cinéma, ou la propagande elle-même.

            Chiffres changeants, incertains, dont il conviendrait de démontrer la consistance et l’origine, alors que les contributions elles-mêmes du Colloque ou du livre Images et Colonies portent sur des séries généralement réduites ou flottantes, ce qui n’empêche pas nos chercheurs d’en tirer des conclusions mirobolantes.

             Le colloque a examiné environ six cents images (C/141), mais l’introduction du livre Images et Colonies fait état d’un recensement du groupe de recherche de l’Achac qui porterait sur plus d’un million d’images qui auraient été analysées au sein de son séminaire, et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’Achac à la Bibliothèque nationale en janvier 1993,  suivi de la publication des actes. (IC/8) Il s’agit du même colloque et le chiffre du million parait surprenant, compte tenu des propos qui ont été précisément tenus à ce colloque.

            L’analyse que nous avons effectuée sur les différents supports a démontré qu’il manquait une évaluation quantitative et qualitative des supports d’information et de culture et de la place qu’ils accordaient à la chose coloniale, ainsi que de leurs effets sur l’opinion, pour pouvoir prétendre énoncer telle ou telle conclusion sur leur rôle respectif dans la formation d’une culture coloniale, posée comme postulat.

            La démonstration historique reste donc à faire pour savoir si la presse a été ou non coloniale, si l’école, les cartes postales, le cinéma, les affiches, les expositions, ont joué le rôle que lui prête ce collectif de chercheurs. Textes ou images, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes, et il est difficile d’admettre que l’interprétation des images, en tant que telles, et dans leur champ spécifique des signes, soit laissée à la seule initiative des historiens.

            L’effet de loupe-          Le discours de la méthode du Colloque de 1993 mettait en garde ses participants sur les dangers de l’effet de loupe, et nous avons vu, avec l’exemple du grain de riz de l’Indochine présenté comme le symbole d’une propagande coloniale tonitruante, à quelles conclusions erronées pouvait conduire ce type de déformation visuelle, mais d’abord intellectuelle.

            Encore conviendrait-il de remarquer que le mot propagande pour le bon socialiste qu’était Marius Moutet n’avait pas du tout le même sens que pour les fascistes, les communistes ou les nazis. Et d’ajouter qu’elle n’avait rien à voir avec celle de Tchakhotine et de son Viol des Foules.

            Effet de loupe sur l’objet même de l’étude à partir du moment où jamais n’est mis en comparaison l’imaginaire colonial, pour autant qu’il ait existé et qu’il existe encore, avec d’autres imaginaires puissants qui ont pu exister dans les différentes étapes de la chronologie historique : la saignée de la première guerre mondiale, la crise des années 30, la montée de la menace nazie et fasciste, la lutte fratricide franco-française pendant l’occupation allemande, puis le rêve américain et la guerre froide.

            Même effet de loupe pour le Petit Lavisse, les zoos  humains, les indigènes nues, Mauresques de préférence, Banania, ou Tintin au Congo ! Bled, Pépé le Moko, ou l’Atlantide ? Oublierait-on que Banania fut avant tout une publicité pour le petit déjeuner des enfants.

            Effet de loupe qui occupe plusieurs étages, les sous-sols de l’inconscient qui disputent la place des étages supérieurs, où se situent des imaginaires dominants ou dominés, en conflit, imaginaires qu’il conviendrait de définir et de délimiter aux différentes époques historiques. Le collectif de chercheurs n’a proposé à ce sujet aucune méthodologie, et naturellement aucun résultat.

            Donc, un puissant effet de loupe, ce qui veut dire sophisme du raisonnement historique, puisque l’effet de loupe procède d’un raisonnement sophistique.

            Nous avons vu en effet, au fil des chapitres, que nos chercheurs n’hésitaient pas à généraliser une observation, un fait, une image, sans se préoccuper de la question de leur représentativité dans un corpus déterminé. Selon le bon exemple du Français qui débarque sur les quais de la Tamise, voit une anglaise rousse, et en conclut que toutes les anglaises sont rousses.

            Car il nous faut revenir à présent sur les Actes du Colloque et sur le livre Images et Colonies pour apprécier leur discours par rapport au découpage chronologique de ces deux sources.

            Le Colloque n’avait pas, d’après les actes, d’ambition chronologique et historique, et n’avait pas encadré sa réflexion dans un calendrier historique précis. Il s’agissait plus de la part de ses participants d’un premier défrichage intellectuel du sujet, que d’un travail d’approfondissement de travaux déjà largement engagés.

            Il est d’ailleurs important de noter que l’objet du colloque était le suivant : Quelles représentations de l’Afrique ont aujourd’hui, les Français et les Européens ?

 Il  ne s’agissait donc pas d’un travail historique collectif proprement dit.

            Le livre Images et Colonies proposait lui un ensemble de contributions très variées, souvent de bonne qualité, qui s’inscrivaient dans une chronologie acceptable, 1880-1913, 1914-1918, 1919-1939, 1940-1944, 1945-1962. La prise en compte séparée des deux périodes de guerre était tout à fait justifiée, car on ne peut pas mettre sur le même plan la situation de l’opinion publique, en temps de paix et en temps de guerre. C’est à peu de choses près, le découpage chronologique qu’avait proposé M.Gervereau au Colloque de 1993. (C/56)

            A chacune des périodes examinées, la facture de ces contributions était quelquefois historique, quelquefois artistique, ou simplement intellectuelle, et leurs auteurs n’avaient pas toujours l’ambition ou l’intention d’en faire un aliment pour une guerre des mémoires à venir.

            Alors que l’objet même du Colloque de 1993, l’évaluation des représentations que les Français et les Européens d’aujourd’hui ont de l’Afrique, le Colloque n’a pas suggéré de procéder à un sondage en vraie grandeur, à l’initiative  de la puissance publique, qui aurait pu mettre au clair cette question, question à laquelle le sondage de Toulouse n’a pas apporté de réponse.

            Les Actes de ce Colloque n’ont malheureusement pas débouché, en tout cas, à notre connaissance sur la mise au point de méthodes d’évaluation historique des textes et images de notre histoire coloniale moderne.

            Et, comme nous l’avons souligné plus haut, faute de preuves, des historiens distingués ont ouvert à cette occasion la porte du ça colonialde l’inconscient collectif, indéfini et indéfinissable, qui appelle à des interventions historiques ou mémorielles, liées à la psychanalyse, et qui sait à la sorcellerie.